thé,
crackers et cinéma
c r i t i q u e s |
|
|||
"8 mm" |
Brûler Hollywood. Joel Schumacher met en image la longue descente aux enfers d'un homme ordinaire. Tom Welles (Nicholas Cage) est détective privé, il mène une existence paisible avec sa femme et sa petite fille quand la veuve d'un notable fait appel à ses services : dans le coffre-fort de son mari, elle a découvert un snuff movie, elle veut s'assurer que la jeune fille qui se fait taillader à l'écran, est bien vivante. Au cours de son enquête, Welles échoue à LA, capitale du cinéma et semble-t-il du porno. Hollywood attire des milliers de starlettes qui rêvent toutes de faire un bout d'essai. "8mm" offre un point de vue intéressant lorsque Joel Schumacher sous-entend que le cinéma n'est qu'une terrible machine pornographique : comme dans le X, Hollywood est lancé dans une course à la surenchère. Dans la scène clé du film, Welles ose à peine regarder les snuff movies. Sur son visage, on peut lire une tension extrême, on comprend que les scènes sont insoutenables : on devine que des femmes suppliciées par un bourreau, sont tailladées à coups de couteaux ou étranglées. Mais Welles s'aperçoit que l'actrice n'est pas morte puisqu'elle apparaît dans plusieurs snuff movie. Ces films ne sont alors que du cinéma, mais que ces images de tortures soient finalement fausses, n'enlève rien au fait qu'elles sont abjectes. En filmant avec de plus en plus de réalisme des meurtres, Hollywood participe donc à créer des images malsaines et ceux qui les regardent, les spectateurs, sont réduits à l'état de voyeurs. Joel Schumacher ne filme pratiquement pas la violence contenue dans les snuff movies. Si le spectateur a pourtant l'impression de voir un film très dur, ce n'est pas dû aux images qui restent assez anodines mais au voyage mental que le cinéaste tel un sadique nous contraint à accomplir : moins il en montre, plus il nous oblige à créer les images manquantes, à imaginer les scènes les plus violentes. Comme Welles, le dégoût s'impose très vite dans nos têtes pour ne jamais nous quitter. A force de suggérer des images atroces, à force de toujours creuser le même sillon, le cinéaste est parvenu à créer une atmosphère glauque, la dilatation du temps, cette lenteur affichée, est destinée à faire durer le calvaire. Un homme Welles, nous, descend lentement mais sûrement dans les bas-fonds de l'âme humaine. Pendant la première partie du film, Joel Shumacher s'attache à nous faire connaître la jeune fille : Welles regarde encore et encore les seules images qu'il possède d'elle, nous gardons en mémoire, son regard apeuré, elle a l'air d'un animal pris dans un piège. Dans un deuxième temps, Welles suit les trâces de la jeune fille, sa dégringolade le conduit dans une tournée des sex shop, librairies spécialisées, supermarchés clandestins du porno qui peuvent répondre à tous les goûts, assouvir tous les fantasmes. Plus on avance, plus on se demande si le monde n'est pas devenu fou. "8 mm" est bien un film moral qui laisse entendre que Hollywood est allé trop loin et que nous sommes tous complices de cette course au spectaculaire. Hélas, les dernières quarante-cinq minutes du film sont terriblement ordinaires, 8mm devient un banal règlement de compte. Welles se retrouve face aux bourreaux : fusillade, passages à tabac, meurtres... On s'entretue, parfois salement. Même si le bon triomphe des méchants, la victoire a un goût amer. On sort de 8mm avec la gueule de bois.
Florence Guernalec
|
||