thé, crackers et cinéma
c r i t i q u e s
 



"Ça commence
aujourd'hui"

de Bertrand Tavernier



synopsis

fiche technique

site officiel

Boiteux.


Bertrand Tavernier n'a pas fini de dénoncer les injustices et d'emmerder les politiques. Cette fois, il pose sa caméra dans une école maternelle du Nord de la France. A travers l'instituteur Daniel (Philippe Torreton) et sa classe, le réalisateur met à jour la misère économique et sociale d'une population en grande difficulté. Les enfants sont les premières victimes de la crise dans cette région sinistrée : ils arrivent à l'école le ventre vide, pas lavés, en mauvaise santé, ont des difficultés pour s'exprimer... Bertrand Tavernier s'est installé dans une vraie classe de maternelle, les acteurs professionnels côtoient des amateurs issus pour la plupart de la région. On sent que Tavernier s'est "documenté", que chaque fait ou incident est le fruit de témoignages et de l'expérience de Dominique Sampiero, instituteur et co-scénariste du film.

Personnage central de "Ça commence aujourd'hui", Daniel symbolise bien les contradictions du film : il est à la fois instituteur, directeur d'école, nounou, assistante sociale et redresseur de torts, le bouillant Daniel n'hésitant pas à forcer la porte du maire pour régler les problèmes. Si on est convaincu par ses dons d'instit, on ne croit pas beaucoup à ce capitaine Conan secouant les institutions, à ce fort en gueule se mettant tout le monde à dos. Ça commence aujourd'hui souffre d'un vrai problème de forme qui empoisonne toute le film : Bertrand Tavernier mélange la fiction la plus fabriquée à la réalité la plus naturaliste comme c'était le cas dans L627 sur le milieu de la police. Le réalisateur n'a pas choisi entre film de cinéma et film documentaire. C'est un peu comme si Claude Sautet et Raymond Depardon décidaient de réaliser un long-métrage ensemble. Le résultat est totalement bancal.

Bertrand Tavernier n'a pas vraiment cru en la force du cinéma pour témoigner de la détresse sociale de ces gens du Nord : il utilise des personnes de la région pour avoir une caution réaliste sans leur rendre justice puisqu'il les prive de parole. Certes, les scènes dans l'école sonnent juste, la caméra est le témoin neutre de la vie de la classe. Ça commence aujourd'hui n'a cependant rien à voir avec son dernier film sur les cités De l'autre côté du périph', le réalisateur reprend pourtant certains procédés issus du documentaire : dans une scène, une institutrice parle face à la caméra de l'évolution de son métier, cette séquence fonctionne seule mais elle dénote complètement avec le reste du film, on s'imagine que l'instit s'adresse à quelqu'un, on s'attend à voir son interlocuteur avant de comprendre que le cinéaste nous délivre un témoignage brut façon cinéma vérité.

Côté fiction, les scènes centrées sur Daniel et sa compagne ne sont pas éclairantes sur les problèmes traversés par cette population au chômage et surtout, ces séquences paraissent faibles dramatiquement voire fausses au regard des scènes sur les familles en difficulté. L'introduction d'une voix-off, sied mal dans le paysage réaliste imposé par le réalisateur, les divagations littéraires de Daniel, nous éloignent de l'essentiel. Tavernier oublie même un moment son sujet, il oublie les gens, les visages désespérés ou résignés pour plonger dans les dossiers : dans une scène très mal jouée, une assistante sociale s'oppose au Conseiller général du département, chacun s'envoie des statistiques à la figure, cette bataille de chiffres ressemble à un débat télévisé entre deux politiciens.

Reste un film émouvant, mais comment ne pas être sensible devant la détresse d'une mère qui préfère en finir avec la vie ou d'un petit garçon battu. L'accumulation des drames donne envie de se tirer une balle dans la tête. Cependant, ces histoires d'électricité coupée, d'enfants privés de cantine ou victimes de la violence au sein de leur famille, remplissent depuis longtemps les pages "faits divers" des journaux, Tavernier ne nous apprend rien, il fait un constat comme un journaliste ayant bien travaillé son dossier avec une différence de taille : le cinéaste adresse son film, sorte de "cahier de doléances" aux responsables politiques. Le réalisateur pense que le cinéma peut changer le monde, et que son film permettra d'améliorer les conditions de vie des familles les plus défavorisées. Tavernier le militant se sert de Tavernier le cinéaste pour mener à bien son combat contre l'incurie du pouvoir politique. C'est la lutte d'un réalisateur contre les institutions, le spectateur n'est qu'un témoin invité à compter les coups portés par Daniel/Tavernier le juste à un Etat jugé criminel.

 

Florence Guernalec

 

thé,
crackers
et cinéma

 

home - critiques - notes - archives - l'auteur - contact
Droits de reproduction et de diffusion réservés © thé, crackers et cinéma