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"Il faut sauver
le soldat Ryan"

de Steven Spielberg



synopsis

fiche technique

site officiel

Le spectateur citoyen au front.


On se sent tout petit dans son fauteuil : sur l'écran, de jeunes soldats tombent sous un déluge de balles, c'est un véritable massacre et ce n'est pas un jeu. Steven Spielberg s'est mis dans la peau des soldats américains le jour du débarquement, le cinéaste filme caméra à l'épaule, des soldats sonnés et désorientés qui tentent de rejoindre la plage alors que les balles sifflent à leurs oreilles. C'est la panique, la déroute. Des corps mutilés, à l'agonie, jonchent la plage et il n'y a personne pour les secourir. Avec "Il faut sauver le soldat Ryan", Spielberg voulait plonger les spectateurs dans l'enfer d'Omaha Beach, c'est réussi : ces images provoquent en nous des réactions épidermiques.

En choissant de filmer au plus près de la réalité, Steven Spielberg a moins cherché à choquer les esprits qu'à contraindre le spectateur à regarder ces images avec un oeil de citoyen, à forcer chacun de nous à ressentir une dette envers ceux qui se sont sacrifiés pour libérer l'Europe de l'occupant nazi. A la fin du film, le Capitaine Miller dit à Ryan : "Il faut le mériter." Spielberg sait que le débarquement fait partie de ces dettes qu'on ne peut honorer, qui ne s'effacent jamais parce que la vie n'a pas de prix. Comme dans "La Liste de Schindler", le réalisateur américain veut montrer que l'Histoire n'appartient pas au passé, le D-Day a changé à jamais le destin du monde et l'onde de choc provoquée par cet événement est infinie.

Après le réalisme documentaire du débarquement, la fiction reprend ses droits, le scénariste Robert Rodat prend de la hauteur et concentre son récit sur une poignée d'hommes, le public passe du statut de citoyen à la position plus confortable de spectateur. Moins spectaculaire que la séquence du D-Day, cette partie de film est néanmoins plus intéressante car Spielberg parvient, par une idée de mise en scène ou une phrase toute simple, à faire surgir des moments encore plus poignants comme cette séquence muette où une femme - toujours filmée de dos - aperçoit de sa fenêtre, une voiture qui s'approche de sa maison, elle sort de chez elle, un prêtre et un militaire viennent à sa rencontre, elle comprend qu'il est arrivé quelque chose à ses fils, on la voit alors s'affaisser... ou bien encore, la scène où le jeune soldat qui agonise, répète à ses compagnons : "maman, je veux rentrer à la maison."

Spielberg emprunte aussi aux films de guerre et d'action, des idées plus conventionnelles comme la séquence finale où le combat héroïque d'une poignée d'hommes permet de résister à un ennemi armé jusqu'aux dents. Mais c'est surtout le sentimentalisme de la scène d'ouverture et de fin qui gâche un peu les bonnes idées de scénario et de mise en scène : voir un vétéran se rendre dans un cimetière américain de Normandie et s'effondrer devant une croix, vient alourdir le propos du film sur cette dette qui court.

"Il faut sauver le soldat Ryan" raconte le destin de huit soldats chargés de sauver un seul homme au péril de leur propre vie. Cette mission a une portée symbolique et universelle, elle illustre parfaitement une phrase du talmud chère à Spielberg, selon laquelle "celui qui sauve un homme, sauve l'humanité".

Le destin de ces personnages nous intéresse parce que ce sont des êtres humains ordinaires à l'image du capitaine - incarné avec beaucoup d'intelligence par Tom Hanks - professeur de littérature dans le civil. Ce groupe représente en fait l'humanité toute entière : le courageux et le trouillard, celui qui reste solidaire des autres et celui qui ne pense qu'à sauver sa peau, celui qui craque aux moments difficiles et celui qui cache sa douleur par l'agressivité, le juste et celui qui crie vengeance... Le spectateur participe intérieurement aux discussions qui naissent entre eux, il se demande tout le temps ce qu'il ferait à leur place, prend partie et redevient finalement un citoyen.

En filmant ces soldats au jour le jour, Spielberg témoigne du traumatisme de la guerre. Le cinéaste filme des hommes que la réalité du terrain a rendu pratiquement insensibles et indifférents au sort des autres au point que le capitaine Miller a peur que sa femme ne le reconnaisse plus.

La réussite du film réside dans la capacité de Spielberg à toucher le public et à le faire réagir. Après "La Liste de Schindler", le cinéaste prouve que le cinéma a sa place partout.

 

Florence Guernalec

 

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