Un amour de fête.

Se cacher sous un déguisement pour mieux laisser tomber les masques, larguer les conventions sociales et ses inhibitions. Le carnaval de Dunkerque est bien plus qu'une fête où on se lance confettis et serpentins, les participants se travestissent, ils se fabriquent une "armure" et dans cet anonymat, ils se laissent aller à tous les libertés. Si leur accoutrement outrancier, leur dégaine ridicule, leurs paroles et leurs chansons de poivrots, choquent, cette ferveur populaire témoigne aussi d'une communion entre les gens comme dans la scène de bal où tout le monde chante en choeur. "On est pas des sauvages" répètent la bande de fêtards qui marchent à la bière, "la boisson du docker".

Il y a ceux comme Béa (Sylvie Testud) qui se laissent porter par la vague, la jeune femme succombe au charme d'un jeune beur Larbi (Amar ben Abdallah) et d'autres comme son mari Christian (Clovis Cornillac) qui perdent pied, sont entraînés par la force du courant et se noient dans l'alcool, ne maîtrisent plus leurs nerfs. Dans cette ambiance un peu dingue, Béa et Larbi sont emportés dans le tourbillon de la fête, le temps leur échappe, ils ne contrôlent rien. Leur histoire d'amour est fulgurante et fragile, la présence du mari ou des amis de Béa représente un danger constant, une ombre sur leur aventure. Et l'attitude ambigüe de Béa instaure un suspense : la jeune femme est troublée par Larbi mais on ne sait pas bien si elle est vraiment amoureuse de lui, si elle est en train de vivre une aventure sans lendemain ou si c'est le début d'une histoire sans fin. 

"Karnaval" plaît pour le réalisme de ses personnages populaires : Thomas Vincent et ses acteurs ont réussi à insuffler une vérité dans leurs actions et dans leurs gestes, ils parlent tous avec beaucoup de naturel, de leurs envies, de leurs craintes révélant ainsi au grand jour, leur personnalité. Mais le cinéaste a su dépasser cet ancrage social fort pour passer de l'autre côté du miroir et introduire une dimension romanesque à son histoire : grâce au carnaval, Béa, Larbi et Christian vivent une foule d'imprévus et de sentiments sur un temps très réduit, pendant quelques jours, ils évoluent dans un monde où tout peut arriver.

"Karnaval" est un premier film maîtrisé, Thomas Vincent a très bien utilisé son décor surréaliste, la menace qui pèse sur le couple et le suspense sur l'issue de leur aventure, ces procédés cinématographiques rendent cette histoire simple, attrayante jusqu'à la fin.

Florence Guernalec