thé,
crackers et cinéma
c r i t i q u e s |
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"La Patinoire" |
Burlesque. L'auteur a suffisamment de distance sur son sujet pour s'amuser des aspects les plus dérisoires et ridicules du cinéma. En une scène, tout est dit : l'acteur principal doit fixer son regard sur une cruche placée en haut d'un escabeau comme s'il s'agissait de la femme aimée. Cette séquence à priori facile à mettre en boîte, aura demandé une quarantaine de prises et au final, elle sera coupée au montage. Plusieurs personnes étrangères à l'équipe viennent parasiter le tournage : un cameraman télé suit en permanence le réalisateur jusqu'à filmer dans son assiette, le responsable de la patinoire (Jean-Pierre Cassel), un ancien champion de patinage, passe son temps à raconter sa gloire passée... Dans "La Patinoire", Jean-Philippe Toussaint se moque gentiment de cette équipe de tournage qui nous gratifie d'un festival de maladresses, de bêtises et d'égos mal placés. Le réalisateur (Tom Novembre) parle cinéma aux hockeyeurs lituaniens comme on le ferait dans un ciné-club ; le chef opérateur (Dominique Deruddere) fait fondre la glace avec les projecteurs, l'assistante (Mireille Perrier) se prend pour un général d'infanterie avec son talkie walkie ; l'acteur américain (Bruce Campbell), lunettes noires et tenue de gardien de Hockey, roule des mécaniques ; l'actrice principale (Dolorès Chaplin) interrompt le tournage d'une scène pour saluer le réalisateur et la productrice se lance dans une opération de charme pour placer le film à Venise... Au fond, chacun suit égoïstement sa logique, sans se préoccuper des autres. Le tournage du film est une métaphore de la société toute entière : une équipe de cinéma comme toute collectivité n'a pas d'existence réelle car les individus sont seuls, enfermés dans leur monde. Chez Jean-Philippe Toussaint, la communication est un leurre : l'interprète des lituaniens ou le porte-voix utilisé par le metteur en scène montrent que toute tentative de se faire comprendre, voire d'échanger des idées, est toujours parasitée par quelqu'un ou quelque chose. La séquence finale marque l'apogée de ce tohu-bohu : le réalisateur et sa productrice arrivent en hélicoptère à Cineccità pour projeter leur oeuvre, ils se posent en plein milieu du tournage d'un film en costumes, puis c'est l'ambulance du délégué du Festival qui fonce droit sur l'équipe au lieu de faire un détour... Ce maelström révèle toute l'absurdité de ces existences passées à s'agiter en tous sens, et à poursuivre, tête baissée, des buts sans importance et sans fin. Sans nostalgie, Jean-Philippe Toussaint fait du cinéma burlesque, pour divertir mais avec ses propres obsessions et ses vérités.
Florence Guernalec
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