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"La Vie est belle" |
Un grand film sur l'absurdité. Dès les premières minutes du film, une voix-off prévient le spectateur qu'on va nous raconter "une histoire simple mais difficile à expliquer", normal puisque c'est une histoire de fous. D'abord, cela commence comme une mauvaise blague : sur la jument de son oncle, est inscrit le mot "juive", Guido (Roberto Benigni) pense qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, car l'idée de "jument juive" est proprement absurde. Puis, Guido chargé de montrer à des enfants d'une école qu'ils appartiennent à une race supérieure, se lance dans une description volontairement grotesque de son oreille et de son nombril. Guido répond à l'absurde par l'absurde : si dans certains magasins, on refuse l'entrée aux juifs, alors lui va interdire l'accès de sa librairie, aux araignées et aux Wisigoths ! Dans le camp de concentration, le petit garçon dit à son père : "Il paraît qu'ils font de nous des boutons et du savon. Il paraît qu'ils nous brûlent dans des fours." La réalité est tellement absurde que le père n'a pas de mal à convaincre son fils que ces rumeurs sont ridicules. Dans "La Vie est belle", Guido fait croire à son fils que le camp de concentration dans lequel ils se trouvent est le théâtre d'un jeu pour gagner un vrai char, que les allemands, "les méchants qui hurlent", jouent en fait à cache-cache et mangent trop de sucettes. En clair, l'extermination des juifs est une idée tellement absurde que n'importe quelle invention est plus crédible que la réalité. En imaginant ce jeu, le père ne cherche pas seulement à protéger son fils de l'horreur, il n'a pas le choix : l'absurdité de la situation, c'est que même s'il lui exposait la vérité, il serait parfaitement incapable de lui dire pourquoi on veut sa mort, le comble de l'horreur, c'est que Guido est obligé d'inventer une explication absurde : un jeu. Puisque plus rien n'a de sens, Roberto Benigni a pris le parti d'en rire avant d'avoir à en pleurer. Le scénario très brillant n'esquive pourtant aucunement la réalité du nazisme. Dans la première partie du film, entre deux numéros de clown et une séquence pleine de poésie, Roberto Benigni réussit en trois scènes à décrire les différentes étapes de l'horreur nazie. D'abord, il y a l'idéologie fasciste : un fonctionnaire passe dans les écoles pour expliquer aux enfants qu'ils appartiennent à une race supérieure. Ensuite, il y a les discriminations : dans une scène de La Vie est belle, il y a des magasins dont l'entrée est interdite aux chiens et aux juifs. Enfin, apparaît l'idée de la solution finale : l'administration commence par réduire les gens à des chiffres, dès lors on ne raisonne plus en terme de personnes mais sur des nombres, toute solution à une question se ramène donc à un simple problème mathématique. Dans une scène du film, un personnage calcule le coût de la prise en charge d'enfants mal portants, le raisonnement est simple : pour faire des économies, il suffit de supprimer leur nombre, donc leur existence... Dans la deuxième partie du film, Roberto Benigni ne se dérobe pas devant la réalité des camps de la mort : il filme d'abord des gens qui doivent se déshabiller sous le prétexte de prendre une douche. On voit ensuite des femmes trier les vêtements. Enfin, le réalisateur filme un charnier. Mais Roberto Benigni a évacué toute sensiblerie, il n'a pas cherché l'émotion facile. "La Vie est belle" est un film extrêmement intelligent et ambitieux car Roberto Benigni et Vincenzo Cerami portent un regard dérangeant et nouveau sur l'extermination programmée des juifs : "La Vie est belle" montre qu'au début du nazisme, les gens n'ont pas cru à la solution finale car l'idée même d'un génocide était une chose inconcevable puisqu'on ne pouvait pas l'expliquer rationnellement. "La Vie est belle" laisse l'humanité désemparée.
Florence Guernalec
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