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"Les enfants du marais" |
Sous le charme. Au centre du film, l'amitié entre Garris, célibataire, ancien de 14-18, et Riton, un père de trois enfants. Autant le premier est intelligent, fier et débrouillard, autant le second n'est pas très futé, fainéant, pleurnichard, irresponsable et porté sur la bouteille. L'histoire du duo mal assorti est connue mais là encore Jean Becker et les deux acteurs parviennent à dépasser les clichés. Le comportement gamin de Riton nous fait rire, le bonhomme n'est pas si bête que ça, il sait profiter de son air de chien battu et jouer sur la corde sensible pour obtenir ce qu'il veut, Garris est sans cesse obligé de lui rappeler les bonnes manières comme on essaie d'éduquer un enfant avec l'espoir qu'il va grandir. Se joignent à eux, Amédée (André Dussollier) le bourgeois du village qui ne se départ jamais de ses costumes élégants blancs cassés et Pépé (Michel Serrault), l'homme d'affaire qui a grandi dans le marais et y revient pour s'y amuser. Tout ce petit monde se retrouve au bord de l'eau pour écouter du jazz, parler de choses sans importance, rire d'un rien, ils font penser à cette vieille chanson populaire "Avoir un bon copain". "Les enfants du marais" parle d'une France qui n'existe plus, d'une époque où la nature était saine, fertile et pas encore infestée de nitrates, où les marais n'avaient pas encore été asséchés pour devenir des immenses hypermarchés, un temps où la société de consommation n'existait pas encore et où les gens vivaient de peu. Garris et Riton sont fiers de leur liberté, ils n'ont pas de patron, pas de pointeuse, ils peuvent clamer haut et fort : "On est peut-être des gagne-misère mais on est pas des peigne-culs." Jean Becker parle d'une époque où l'on prenait le temps de vivre et on ne s'agitait pas en tous sens, où les gens faisaient facilement connaissance et racontaient leur vie à des inconnus. Il n'y a rien de nostalgique dans cette évocation de cette époque car Jean Becker filme aussi une société moins reluisante et moins charmante : il parle du racisme ordinaire des années 20 et d'un empire colonial à travers le personnage d'un africain surnommé "Banania", il parle des classes sociales qui se dressent comme des remparts entre la fille de Riton et le petit-fils de Pépé, il parle d'un pays meurtri par la grande guerre à travers un flash-back sur un Garris en poilu, à peine sorti des tranchés et qui semble égaré comme un orphelin. Jean Becker évoque tout ces fléaux avec beaucoup d'intelligence, sans s'apesantir sur les maux de cette société. Les choses ne sont pas dites platement, Becker ne cherche pas à faire passer de message. Tel un impressionniste, il se contente d'ajouter des touches sombres à son tableau. L'ensemble est criant de vérité. Jacques Villeret joue une nouvelle fois "l'idiot du village" face à un Jacques Gamblin prodigieux. Le comédien n'a pas de scène de bravoure à jouer mais il parvient néanmoins à donner du relief à son personnage d'honnête homme et d'ange-gardien de Riton. Jean Becker réussit un film plein de charme, volontairement classique et modeste.
Florence Guernalec
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