thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 2
8 Février 1995
Cher Woody Allen,


Sommaire
"Coups de feu sur Broadway"
de Woody Allen


fiche technique et artistique



























J'ai vu presque tous vos films. Les Alleniens pur jus, les Bergmaniens, le Langien, le Cassavetien... Mes préférés ? "Manhattan" bien sûr et "La rose pourpre du Caire", un film malin où vous jouiez avec l'imaginaire des spectateurs... Aujourd'hui, vous êtes un "Auteur", il est loin le temps où vous réalisiez cette aimable pochade qu'est "Prends l'oseille et tire-toi". Vous faites partie de la classe des intouchables : personne n'oserait dire que "Coups de feu sur Broadway" ne "casse pas des briques". Les journalistes ne prennent même plus la peine d'analyser les qualités et les défauts de vos films, ils clament sur tous les tons que vous êtes un grand cinéaste !

N'ayant aucun respect particulier pour les valeurs établies, je me permets de vous dire que j'ai trouvé votre dernier film gentillet. Oui c'est ça gentillet, bien à l'image au fond de votre personnage central David Shayne : un peu bêta et tiède. Votre description du monde du théâtre est totalement caricaturale, je suppose que c'est volontaire. On est sans doute censé rire aux personnages des acteurs exubérants. Dites-moi, si je me trompe... parce que j'ai à peine souri pendant la projection. Baser toute la trame du film sur le choc de deux mondes n'était pas révolutionnaire mais si les dialogues avaient été brillants, votre dernière œuvre aurait presque pu être réussie... Vous avez pourtant dans ce film, une grande et riche idée : votre garde du corps, Cheech, n'est pas qu'une bonne gâchette, il a aussi une plume. Il est LA pièce maîtresse de votre film. Mais pourquoi alors avoir mis sur le devant de la scène l'auteur et sa cour et avoir laissé en coulisse le gangster ? Comme dans tout scénario classique, la périphérie agit sur le centre et fait avancer le film. Mais ce concept ne fonctionne pas si les personnages principaux ne sont pas les vraies vedettes de l'histoire, or ici le héros du film n'est pas l'auteur laborieux mais le garde du corps brillant. La spectatrice que je suis, ne peut pas s'intéresser un seul instant au destin du personnage joué par John Cusack. Vous avez inversé les rôles...

J'ai l'impression que dans ce film vous regrettez qu'il y ait plus de David Shayne en vous que de Cheech, vous vous "mordez les doigts" d'avoir tué l'auteur populaire de vos débuts et de ne pas avoir sacrifié l'intellectuel brouillon qui prenait racine. Je crains fort hélas que votre créativité soit en train de brûler à petit feu. Peu importe me direz-vous, les spectateurs français se ruent dans les salles pour voir "Coups de feu sur Broadway" et croient même voir un bon film. Vous êtes devenu un auteur petit bourgeois.

 

Florence Guernalec

 

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