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A propos des journalistes cinéma
et de la presse
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Je suis
venue à votre cabinet il y a environ deux ans. Vous m'avez auscultée 15
secondes et j'ai perdu 100 Francs. Avec ma chance habituelle, j'étais
tombée sur un médecin de gauche non conventionné ! Enfin, depuis
le temps, je vous ai presque pardonné.
Aujourd'hui, je vous écris pour vous demander conseil. Voilà, depuis quelques
semaines, j'ai les chevilles qui gonflent. Je pense que c'est psychosomatique
: depuis que je me suis aperçue que je pouvais avoir les mêmes idées que
les journalistes les plus branchés de la place de Paris, je ne me "sens"
plus. Je vous explique : depuis le 1er Février, j'écris des lettres ouvertes
à des personnalités ou à des inconnus que j'envoie notamment à de grands
journalistes. Le 15 mars, Les (nouveaux) Inrockuptibles ont également
inauguré une rubrique de lettres ouvertes (Ping Pong)... En réalité, ce
n'est pas la première fois que j'ai les chevilles qui enflent, mais à
la première alerte, je ne m'étais pas inquiétée : le 13 janvier 1993,
j'ai sorti un bilan de l'année cinéma écoulée, les films critiqués étaient
illustrés par leurs affiches, la liste des meilleurs longs-métrages était
augmentée d'un adjectif précisant l'intérêt du film, du style touchant,
brillant, plaisant, bizarre... Le 24 février, Studio Magazine sort sa
nouvelle formule. Dans la rubrique critique, les photos sont remplacées
par l'affiche, le film caractérisé en un mot : littéraire, barbant, bizarre...
Avec un Mac et une photocopieuse, j'avais égalé le directeur artistique
du magazine le plus luxueux de mon kiosque à journaux. Je me demande si
les idées ne sont pas dans l'air et tombent tout d'un coup - presque -
en même temps. Si ça se trouve, ce phénomène a un rapport avec la loi
de l'attraction universelle... Qu'en pensez-vous ?
J'ai aussi de fréquents maux de tête lorsque je lis la presse. Il y a
des mots, des idées, des noms qui me rendent complètement zinzin. Je pense
néanmoins que mon cerveau fonctionne normalement : aux derniers tests
d'aptitude, je savais faire la différence entre un rond et un carré...
En clair, je suis terrifiée de voir que les gens de ma génération "raisonnent"
exactement comme leurs professeurs, ils reprennent les mêmes idées, citent
les mêmes références sans réfléchir alors même que l'Histoire a révélé
la faillite des croyances de leurs aînés. En France, "il vaut mieux
avoir tort avec Sartre que raison avec Aron", c'est un fait. Ici,
la vérité ennuie. On préfère nier une réalité qui dérange et laisser libre
cours à son imagination au nom de la liberté de penser... de travers.
Evidemment, les anglo-saxons ne comprennent absolument pas pourquoi, dans
notre pays, les médiocres sont et demeurent des références. Je vois deux
raisons à cela : ceux qui dominent le tintamarre médiatique, qui font
et défont les idées et les gens, vivent dans un monde virtuel où le bons
sens a abdiqué. Cette nouvelle élite n'a pas pour objectif d'obtenir des
résultats, la rationalité l'exaspère. Deuxième raison, tout individu ou
groupe d'individus, préfère persister dans l'erreur plutôt que d'avouer
ses fautes. Lorsque dans Les Inrocks, Serge Kaganski défend en vrac Libé
et les Cahiers, Lefort et Tesson, Godard et Pialat et se présente comme
un enfant de Daney et Bory, toutes ces fausses valeurs vides ou essoufflées,
j'ai la faiblesse de penser que le journaliste les embrasse pour mieux
les étouffer afin de mieux s'affirmer... Moi aussi, j'ai envie de dire
que j'aime Libération pour ses critiques pertinentes sur les films, Les
Cahiers pour leur projet d'écriture, Lefort pour son objectivité, Godard
pour le plaisir qu'il nous procure, Daney pour son côté visionnaire...
Hélas, je crains que les gens me prennent au premier degré. Vous voyez
ces maux de tête incessants ne partiront pas avec un cachet d'aspirine.
Docteur, que dois-je faire ?
Florence
Guernalec
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thé,
crackers
et cinéma
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