thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 17
24 Mai 1995
Cher John Dahl,


Sommaire
"Last Seduction"
de John Dahl


fiche technique et artistique



























Ici, "Last Seduction" est précédé d'une rumeur flatteuse, j'en attendais donc beaucoup. Comme toujours dans ces cas là, j'ai été déçue même si votre film est divertissant : à chaque fois que Linda Fiorentino se comporte comme une salope, toute la salle jubile, hommes et femmes confondus. Cette vipère vivrait sur le même palier que moi, j'en aurais des sueurs froides et j'aurais fait mettre au moins quatre serrures à ma porte, on ne sait jamais... Seul le cinéma peut nous faire aimer les hors-la-loi, les salauds, les menteurs... Cette femme qui "mène sa barque" toute seule et manipule les hommes autour d'elle, me fait penser aux séries américaines que je regardais enfant à la télévision : j'avais remarqué qu'à chaque fois qu'une intrigante use de ses charmes, les hommes perdent le sens de l'orientation ! Mais pour que Bridget déploie l'étendue de son art, il aurait fallu un minimum d'action. Entre le moment où elle s'enfuie de New-York et celui où elle met son plan à exécution, il ne se passe pas grand chose, votre garce n'a pas de défis à relever. Votre scénariste, Steve Barancik s'est attardé sur la relation entre Linda Fiorentino et Peter Berg, mais leur liaison à sens unique ne présente pas beaucoup d'intérêt car votre bellâtre fait pâle figure face à cette mante religieuse.

Dès le début, une musique jazz très légère, annonce la couleur : le spectateur ne verra pas un film dur, violent mais un film gai. En situant l'action à "ploucville", le pays des vaches et des cowboys, vous jouez sur le choc des cultures et vous multipliez les scènes cocasses : contraste entre la new-yorkaise Fiorentino qui ne s'embarrasse pas des formules de politesse et les habitants débonnaires de Beston qui disent bonjour à tout le monde ; contraste entre les villes frappées du syndrome "The Crying Game" et les bleds où les Noirs font tâche ; contraste entre le privé de Big Apple aux méthodes musclées et le détective local, bon gros inoffensif... Et puis Fiorentino y va même de son petit numéro : après un accident de voiture, votre garce joue l'espace d'une scène, les victimes sans défense ; ensuite mi-Wonder Woman, mi-Super Jamie, elle se transforme en justicière au service des femmes trompées !

Le ton décalé de "Last Seduction" est bien symptomatique du cinéma actuel : comme beaucoup d'autres, vous prenez vos distances par rapport à votre sujet, vous biaisez. Vous faites des clins d'œil au spectateur. Votre numéro d'auteur blasé dénote un certain cynisme. On a comparé votre dernier opus à "Basic Instinct" en oubliant que Paul Verhoeven était resté au premier degré, son film était également drôle mais involontairement. Je me souviens qu'après le premier meurtre au pic à glace, l'action avait quelque chose de tellement grotesque que toute la salle était partie dans un immense éclat de rire, alors qu'il y a quelques années, la scène de la douche dans "Psychose", était effrayante. Votre film pose indirectement une question brûlante : est-il encore possible aujourd'hui de faire du cinéma ? Autrement dit, peut-on encore réaliser des films au premier degré et ignorer que les spectateurs ont acquis - sans le savoir - une culture cinématographique phénoménale ? Vous le savez bien, une seule chose menace le cinéma : les cinéphiles de tout poil !

 

Florence Guernalec

 

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