thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 12
19 Avril 1995
 


Sommaire
L'avenir du cinéma
une politique-fiction ?





























L'autre jour, J'ai rêvé que les Cahiers avaient changé de nom pour s'appeler "Le Cinéma au pays des Soviets" et voguaient vers de nouvelles aventures comme dans les albums de Tintin... Pensant mettre fin à deux mille ans d'hypocrisie judéo-chrétienne, Thierry Jousse avait décidé d'enlever les masques et de montrer le vrai visage de la revue. Il ne suffisait plus de défendre le cinéma d'auteur subventionné par l'Etat - juste et impartial - contre Hollywood et les "libéraux démago-populaires"* : "il fallait extirper les mises en abîme de nos engagements passés et présents". Dans mon rêve, ce geste suicidaire avait été salué dans la presse comme l'avènement d'une nouvelle pensée, l'EDJ avait même écrit : "le XXe siècle meurt avec Thierry Jousse, le XXIe renaîtra avec lui". L'affaire avait fait grand bruit... pendant quatre jours, le temps pour Le Figaro de qualifier l'idée de "facétie de potache". F-O.G. avait crucifié l'entreprise : "Les Cahiers ne savent plus quoi trouver pour ressusciter"...

J'ai rêvé qu'un magazine appelé Première, avait réuni cent acteurs de la nouvelle génération* : les comédiens photographiés étaient tous de parfaits inconnus ! Dans Libération, Gérard Lefort ironisait : "Sans star-system, le fleuron du groupe Hachette ne survivra pas longtemps. Tant mieux". La nouvelle traversait l'Atlantique, Variety lui consacrait même sa une. Du coup, les stars qui avaient annoncé leur installation en France, étaient prises de panique. Ne supportant pas l'idée de devenir un jour un acteur anonyme, Sylvester Stallone faisait casser la vente d'un appartement avenue Foch. Dans Newsday, Liz Smith affirmait que De Niro, Sigourney Weaver et Julia Roberts allaient renoncer à leur tour à la french riviera. Daniel Toscan Du Plantier intervenait, au nom d'Unifrance, pour calmer les esprits mais il ne faisait que raviver les tensions entre les deux pays. Dans un communiqué envoyé à l'AFP, le producteur français avait cru bon d'annoncer qu'il offrait à chaque star américaine, un billet d'avion en classe économique sur un vol Air France !

Par un curieux effet boomerang, Canal+ qui venait juste de racheter MCA-Universal, faisait l'objet d'une campagne de dénigrement. USA Today prédisait la mort du cinéma américain si l'administration Clinton laissait les Français acheter les Studios un par un, accusant au passage René Bonnell de vouloir produire des films "bourgeois et bavards"*. Pour sa part, le magazine Rolling Stone saluait, dans sa rubrique National Affairs, l'arrivée de partenaires étrangers susceptibles de mettre à mal une industrie aux mains des conservateurs de Newt Gingrich. Peter Travers pensait même qu'à terme la toute puissante MPAA allait être obligée de mettre un genou à terre. Enfin libérés de la censure, le cinéma indépendant américain et les films étrangers sortaient du placard... Les petits Américains découvraient, grâce à Marin Karmitz, les chefs-d'œuvre européens comme "Le Chêne" de Lucian Pintilie (en VO sous titrée) et "I Want to go Home" d'Alain Resnais. Des rétrospectives Fassbinder et Pasolini étaient programmées pour Noël. Les exploitants, emportés par la vague européenne, retiraient de la vente pop-corn et Coca, et autorisaient les spectateurs à fumer dans les salles comme en Grande-Bretagne. De son côté, le lobby chrétien Traditional Values Coalition et le télé-évangéliste Lou Sheldon, avaient exhorté les vrais Américains à manifester devant les cinémas pour empêcher les brebis égarées d'entrer. Madonna, venue soutenir la cause du cinéma indépendant dans un body provocant signé Jean-Paul Gaultier, s'était faite insulter par la foule. Cinéphiles gauchistes et manifestants s'étaient affrontés pendant plusieurs jours, on rapportait que des cinémas avaient été saccagés à Los Angeles, Seattle et Chicago... Bill Clinton faisait intervenir l'armée et tout rentrait dans l'ordre, enfin je crois...

 

Florence Guernalec

 

* Cahiers du Cinéma n°489 p 44 (mars 1995)
* Première n°218 (mai 1995)
* en français

 

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