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L'avenir du cinéma
une politique-fiction ?
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L'autre
jour, J'ai
rêvé que
les Cahiers avaient changé de nom pour s'appeler "Le Cinéma au pays
des Soviets" et voguaient vers de nouvelles aventures comme dans
les albums de Tintin... Pensant mettre fin à deux mille ans d'hypocrisie
judéo-chrétienne, Thierry Jousse avait décidé d'enlever les masques et
de montrer le vrai visage de la revue. Il ne suffisait plus de défendre
le cinéma d'auteur subventionné par l'Etat - juste et impartial - contre
Hollywood et les "libéraux démago-populaires"* : "il fallait extirper
les mises en abîme de nos engagements passés et présents". Dans mon rêve,
ce geste suicidaire avait été salué dans la presse comme l'avènement d'une
nouvelle pensée, l'EDJ avait même écrit : "le XXe siècle meurt avec Thierry
Jousse, le XXIe renaîtra avec lui". L'affaire avait fait grand bruit...
pendant quatre jours, le temps pour Le Figaro de qualifier l'idée de "facétie
de potache". F-O.G. avait crucifié l'entreprise : "Les Cahiers ne savent
plus quoi trouver pour ressusciter"...
J'ai rêvé qu'un magazine appelé Première, avait réuni
cent acteurs de la nouvelle génération* : les comédiens photographiés
étaient tous de parfaits inconnus ! Dans Libération, Gérard Lefort ironisait
: "Sans star-system, le fleuron du groupe Hachette ne survivra pas longtemps.
Tant mieux". La nouvelle traversait l'Atlantique, Variety lui consacrait
même sa une. Du coup, les stars qui avaient annoncé leur installation
en France, étaient prises de panique. Ne supportant pas l'idée de devenir
un jour un acteur anonyme, Sylvester Stallone faisait casser la vente
d'un appartement avenue Foch. Dans Newsday, Liz Smith affirmait que De
Niro, Sigourney Weaver et Julia Roberts allaient renoncer à leur tour
à la french riviera. Daniel Toscan Du Plantier intervenait, au nom d'Unifrance,
pour calmer les esprits mais il ne faisait que raviver les tensions entre
les deux pays. Dans un communiqué envoyé à l'AFP, le producteur français
avait cru bon d'annoncer qu'il offrait à chaque star américaine, un billet
d'avion en classe économique sur un vol Air France !
Par un curieux effet boomerang, Canal+ qui venait juste de racheter MCA-Universal,
faisait l'objet d'une campagne de dénigrement. USA Today prédisait la
mort du cinéma américain si l'administration Clinton laissait les Français
acheter les Studios un par un, accusant au passage René Bonnell de vouloir
produire des films "bourgeois et bavards"*. Pour sa part, le magazine
Rolling Stone saluait, dans sa rubrique National Affairs, l'arrivée de
partenaires étrangers susceptibles de mettre à mal une industrie aux mains
des conservateurs de Newt Gingrich. Peter Travers pensait même qu'à terme
la toute puissante MPAA allait être obligée de mettre un genou à terre.
Enfin libérés de la censure, le cinéma indépendant américain et les films
étrangers sortaient du placard... Les petits Américains découvraient,
grâce à Marin Karmitz, les chefs-d'œuvre européens comme "Le Chêne"
de Lucian Pintilie (en VO sous titrée) et "I Want to go Home"
d'Alain Resnais. Des rétrospectives Fassbinder et Pasolini étaient programmées
pour Noël. Les exploitants, emportés par la vague européenne, retiraient
de la vente pop-corn et Coca, et autorisaient les spectateurs à fumer
dans les salles comme en Grande-Bretagne. De son côté, le lobby chrétien
Traditional Values Coalition et le télé-évangéliste Lou Sheldon, avaient
exhorté les vrais Américains à manifester devant les cinémas pour empêcher
les brebis égarées d'entrer. Madonna, venue soutenir la cause du cinéma
indépendant dans un body provocant signé Jean-Paul Gaultier, s'était faite
insulter par la foule. Cinéphiles gauchistes et manifestants s'étaient
affrontés pendant plusieurs jours, on rapportait que des cinémas avaient
été saccagés à Los Angeles, Seattle et Chicago... Bill Clinton faisait
intervenir l'armée et tout rentrait dans l'ordre, enfin je crois...
Florence
Guernalec
*
Cahiers du Cinéma n°489 p 44 (mars 1995)
* Première n°218 (mai 1995)
* en français
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thé,
crackers
et cinéma
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