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"thé, crackers..."
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"Casino"
fait la une de tous les magazines. Pour une fois, tous les critiques semblent
d'accord... sauf moi bien sûr et semble-t-il pas mal de spectateurs. Le
dernier Scorsese a un goût de déjà-vu : "Casino", c'est "Les
affranchis" à Las Vegas, rien de plus. Le cinéaste nous raconte toujours
la même histoire : l'ascension et la chute de mafieux, de personnages
minables, sans intérêt, dépourvus de la moindre émotion, de la moindre
humanité... J'ai entendu avec plaisir les lettres d'auditeurs de l'émission
"Le Masque et la plume" critiquant l'enthousiasme démesuré de
mes confrères. Le critique cherche dans un film de quoi nourrir son intellect
alors que le spectateur réclame de l'émotion, toujours de l'émotion, encore
de l'émotion. Pour aimer le cinéma de Scorsese, il faudrait que ses personnages
aient des sentiments. En tant que spectatrice, je ne considère pas Marty
comme un grand cinéaste.
Je n'ai
pas envie de voir "The Addiction" et "Safe", deux
chefs-d'œuvre si j'en crois Laurent, enfin c'est aussi ce qu'il m'avait
dit à propos du très putassier "My Own Private Idaho"... Les
semaines passant, je ne désespère pas que les films ne soient plus à l'affiche,
comme ça j'aurais une super bonne excuse pour ne pas aller les voir...
J'ai déjà été sevrée par les premières minutes de "Bad Lieutenant"
d'Abel Ferrara : tout m'a paru faux, bête et pour tout dire grotesque
alors que ce film cherche à l'évidence à nous bousculer, nous remuer.
Ce ne sont pas les interviews avec son auteur, transformé en héros par
la presse cool et branchée, qui me feront changer d'avis, la complaisance
des journalistes en mal d'émotions fortes, de sensationnalisme, me laisse
pantois, Abel Ferrara semble n'avoir qu'une seule vertu : être marginal.
Ils oublient de parler du film de sorte qu'on finit par se demander si
"The Addiction" existe réellement. Dieu merci, dans mon milieu
à moi, on juge une œuvre pour ses qualités propres, on n'aurait pas idée
de brandir la vie dissolue d'un auteur comme preuve d'intégrité artistique.
Comme les gens qui encensent Ferrara sont les mêmes qui aiment Tod Haynes,
par un effet boomerang assez étonnant, je n'ai aucune envie de voir "Safe"...
à moins que de vrais critiques de cinéma, intelligents, sensibles avec
de vrais arguments plein les poches, m'en donnent l'envie...
Je ne parle jamais des comédiens non pas par snobisme, mais faute de combattants.
Croyez-moi, j'en suis la première fâchée, notre intérêt pour le cinéma
- pourquoi ne pas l'avouer - dépend beaucoup des acteurs. Néanmoins, deux
bonnes surprises, d'autant plus réjouissantes qu'elles sont inattendues,
ont marqué ce début d'année, à commencer par la remarquable Elisabeth
Shue dans "Leaving Las Vegas" : son personnage de prostituée
amoureuse d'un alcoolique était à priori sans intérêt et tout portait
à croire que Nicolas Cage avait le beau rôle. Et pourtant, l'actrice,
toute en retenue, parvient au fil des scènes à s'imposer comme le réel
personnage attachant de cette histoire sombre en jouant - ce qu'il y a
de plus banal et de plus difficile pour une actrice - une femme amoureuse.
Le point d'orgue de son interprétation restera la scène du déjeuner où
elle finit par craquer devant son amant. Plus nuancée et plus émouvante
que son compagnon d'infortune, Elizabeth Shue finit par envahir l'écran
pour le plus grand intérêt du film de Mike Figgis qui menaçait de tourner
en rond. L'actrice réussit sans mal à être à la fois juste et séduisante.
Ceux qui nous imposent des comédiennes qui ressemblent à des agents du
KGB, ne peuvent plus décemment suggérer, au détour d'une phrase assassine,
que la beauté est l'ennemi du jeu, l'ennemi du cinéma.
Dans "Eldorado" et "When Night is Falling", l'excellente,
la troublante Pascale Bussières (ce n'est pas moi qui le dit mais
Télérama !) m'a plus enchantée encore : subtile, juste, inspirée, lumineuse,
désarmante de naturel et drôle, l'actrice québécoise joue le nez au vent,
avec une liberté et une assurance exceptionelles, elle déploie une panoplie
d'expressions du visage et de gestes incroyable. Dans "When Night
is Falling", Pascale Bussières est Camille, une jeune femme un peu
naïve, coincée, la comédienne se moque d'elle-même et fait preuve d'un
sens comique très étonnant. Dans "Eldorado", Pascale Bussières
joue Rita, un personnage physique, un peu fou. Actrice gonflée, la jeune
québécoise fait le pari de jouer uniquement sur sa présence. Marie-Claude
Loiselle écrivait en 1993 dans la revue 24 Images à propos du film Deux
actrices de Micheline Lanctôt : "Pascale Bussières, en comédienne professionnelle,
sait se servir de façon particulièrement retorse de la caméra sans avoir
l'air d'y porter attention". Doux euphémisme.
Si l'actrice fait l'unanimité, son film "When Night is Falling"
partage la critique : accueil positif pour Première, Studio Magazine,
Le Nouvel Observateur, L'Express ; réponse négative pour Les Inrockuptibles,
Le Monde, Libération, L'événement du Jeudi, Le Figaro, La Croix qui pensent
dans leur ensemble que "When Night is Falling" est un film "manichéen".
Les critiques reprochent à Patricia Rozema, le contraste entre le collège
religieux de Camille et l'univers libertaire du cirque de Petra, le conflit
par trop évident entre raison et passion... A lire leurs notes bâclées,
ils suggèrent que le parti pris scénaristique de l'auteur-réalisateur,
à savoir l'opposition évidente de deux mondes, de deux femmes, n'a pas
été voulu ! Un comble.
Ce reproche est très révélateur du niveau de la critique en France : faussement
intelligente, paresseuse et totalement imperméable au langage cinématographique.
Un vrai cinéphile juge un film avec un œil de cinéaste, se pose les mêmes
questions que le réalisateur sur le scénario, la mise en scène... Un cinéphile
sait combien les partis pris sont essentiels pour donner une colonne vertébrale
à un film, un cinéphile sait qu'un metteur en scène se doit de jouer sur
les contrastes pour mieux mettre en lumière son propos, un cinéphile sait
que seules des situations extrêmes permettent de mettre à nu les personnages
en les obligeant à se découvrir... mais un cinéphile sait également que
les partis pris, ces passages obligés, ne disent rien du talent d'un cinéaste,
seule la mise en scène compte.
Un film est un concentré de vie, ce n'est pas la vie, ce n'est
même pas un bout de vie, c'est une vie de cinéma : tout personnage "naît"
au début d'un film et "meurt" (en principe) à la fin de la projection.
Pourquoi faudrait-il que personnages et situations soient neutres, tellement
transparents qu'il ne se passe rien et qu'on entende les mouches voler
sous prétexte que la vie de la plupart des gens se déroule ainsi ?
Pour qu'un film existe, il faut obligatoirement qu'il y ait un problème
et que ce problème soit visible pour le spectateur, le cinéma ce sont
des images et non des mots ! Tout film raconte la résolution d'un problème
(feel-good movie) ou sa tentative de résolution. Ainsi je préfère l'esprit
d'un François Truffaut, toujours soucieux de comprendre les intentions
d'un cinéaste, à celui d'un Serge Daney enfermé dans une logique qui ignore
l'auteur et consiste à prendre sa place.
Il y longtemps qu'on n'avait pas entendu un cinéaste se plaindre de ses
conditions de travail. Chantal Akerman, jamais en retard d'une
époque, reproche, dans Les Inrocks, à son producteur, l'affreux Jean-Luc
Ormières, d'avoir voulu un droit de regard sur le montage de son dernier
film "Un divan à New-York". Ce qu'elle ne dit pas, c'est qu'elle
a dépensé près de 60 millions de francs pour réaliser son petit film intimiste
chéri. Le cinéma d'auteur français, c'est comme la haute-couture, c'est
chiant, souvent ridicule et hors de prix.
Florence
Guernalec
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