thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 4
22 Février 1995
Chers Patrick et Lisa Alessandrin,


Sommaire
"Ainsi soient-elles"
de Patrick et Lisa Alessandrin


fiche technique et artistique



























Je suis allée voir "Ainsi soient-elles" sur les conseils de mon frère. Il ne tarit pas d'éloges sur votre film. Je n'étais pas convaincue par ses sourires en coin... ni par la bande-annonce mais j'ai tout de même fini par acheter mon billet. "Ainsi soient-elles" commence plutôt bien : caméra fixe sur les vestiaires d'une piscine, on entend trois jeunes femmes commenter des scènes torrides de "Basic Instinct". C'est amusant et ça sonne juste. Jusque là, l'entreprise est sympathique. Hélas, ce n'est pas Thelma et Louise : vos jeunes femmes sont apparemment "libérées", et pour expérimenter des nouvelles sensations, elles ne sont pas les dernières mais très vite on se désintéresse d'elles, leurs égarements finissent par lasser. En fait tous vos personnages sont détestables, les hommes comme les femmes. Ces couples qui se cherchent, se trompent ou se perdent me font penser à ceux d'"Après l'amour" de Diane Kurys : ils sont immatures, ridicules, pas très dignes et dénués de tout sens de l'humour, en un mot pitoyables. On a envie de tous les gifler ! Je me demande vraiment comment on peut réussir un film quand les personnages principaux ne sont pas attachants, ni fascinants. Mon frère me soutient néanmoins que chaque caractère incarne, avec éclat, la génération des 25-35 ans... On ne doit pas fréquenter les mêmes endroits, ni les mêmes personnes. Selon moi, la seule parole sensée du film vient du personnage joué par Marie Laforêt. Contrainte par sa fille à avaler un sandwich dans un fast-food, elle lâche cette réflexion : "Si vous faites l'amour comme vous mangez, j'ai de quoi m'inquiéter."

Enfin, le plus détestable dans votre film, c'est son côté porno chic. Cela dit, mon cher frère m'avait prévenu que votre long-métrage était interdit aux moins de 16 ans. En France pour réussir un tel exploit, il faut vraiment être un grand pervers... Dans "Ainsi soient-elles", les corps des femmes sont réduits à des jouets qu'on tripote et manipule. Vous avez écrit un film sur la souillure : la première fille est violée dans des chiottes, la deuxième "se fait culbuter" moyennant finance et enfin la dernière frotte son corps maculé de peinture contre une toile. Si vos personnages évoluent dans des décors chics et si votre mise en scène est - si j'ose dire - léchée, l'atmosphère est malsaine et les images complaisantes, vous ne filmez pas vos personnages comme des êtres dignes... d'être respectés. Plus grave encore, vous avez une manière très douteuse d'évacuer les problèmes : la première se fait avorter, la deuxième se déconnecte de son minitel rose, l'histoire ne dit pas ce que devient la troisième, on suppose qu'une bonne douche fait l'affaire, l'eau est purificatrice... Bref, un simple geste suffit pour effacer les humiliations. "Ainsi soient-elles" n'a qu'un seul mérite, celui d'incarner la philosophie fin de siècle qui assimile la vie à un cartoon : vous savez quand un personnage de dessin animé tombe d'une falaise et s'écrase au sol, il est en mille morceaux, le plan suivant le personnage est comme neuf. Dans "Ainsi soient-elles", vous montrez de la même manière qu'on peut tout expérimenter sans conséquences : à la fin, vous filmez vos trois naïades en train de marcher dans la rue comme si rien ne s'était passé. Vos personnages n'ont rien d'humain puisqu'ils n'ont pas de mémoire et donc pas de cicatrices, ils leur manquent rien moins qu'une âme.

Quant à moi, j'ai eu l'impression d'être une voyeuse, c'est un sentiment très désagréable, croyez-moi. Et je m'inquiète plus que jamais pour mon frère... enfin ça, ce sont des histoires de famille. No comment.

 

Florence Guernalec

 

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