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Cher
Robert Altman, "Prêt-à-porter" a tout du magazine féminin. Des
décors luxueux, des filles de rêve, du clinquant, pas mal de publicité,
des gens riches et célèbres... et la futilité en profession de foi. Ceux
qui s'attendaient à tutoyer le monde de la mode en seront pour leurs frais.
Vous n'êtes pas Raymond Depardon, "Prêt-à-porter" n'est pas
un documentaire sur les grands couturiers. Votre film n'est jamais qu'une
farce, vous dites vous-même que c'est une "histoire idiote". Et je dois
avouer que j'y ai pris beaucoup de plaisir !
Avec la Haute-couture en toile de fond, vous aviez certainement plus matière
à vous amuser, vous n'aviez plus qu'à grossir le trait... Néanmoins, le
traitement est des plus troublant : vous mélangez vrais et faux couturiers,
vrais et faux défilés... "Réel" et fiction se marient naturellement. Vous
êtes machiavélique... Pour mieux accentuer votre charge, vous intégrez
dans "Prêt-à-porter", une équipe fictive de reporters : ce film
dans le film souligne encore un peu plus la vacuité des acteurs de la
mode mais aussi le ridicule de ceux qui les filment, les journalistes
ne sont pas épargnés. Tous vos personnages ou presque sont grotesques
ou extravagants, on prend conscience assez vite qu'aucun d'eux ne prononcera
une parole sensée en deux heures ! vos dialogues sont volontairement creux
et absurdes. Quand Sergei arrive à approcher la femme qu'il aime après
quarante ans de séparation, cela donne à peu près ceci :
- Rendez-vous au Musée Rodin devant la statue du Penseur, demain à 10
h.
- Je me lève à Midi.
- Alors à Midi.
- Non, à midi, j'ai mon aérobic...
C'est tellement surréaliste que les Nuls auraient pu l'inventer. Et quelle
idée de faire apparaître cette statue du Penseur dans un film où la raison
a définitivement abdiqué. Vous êtes l'auteur d'un nouveau genre, le "film
de gueules" : de Yann Collette à Richard E. Grant, chaque caractère existe
par lui-même, il n'est pas besoin de lui inventer un passé.
Malgré cela, la mise en place est un peu longue. Avec autant de personnages,
c'est un peu normal, mais une fois que l'on sait qui est qui, on s'amuse
comme des petits fous. Comme dans "Short Cuts", il n'y a pas
de fil conducteur. Vous ébauchez une intrigue autour de la mort d'un personnage
que vous dégonflez aussi vite, et vous préférez un essaim de stars en
figurants à des personnages principaux en passeurs. Normalement, ce type
de construction mène tout droit à la catastrophe, mais ici, vous compensez
l'absence de structure narrative et la minceur de votre propos par des
scènes courtes bien enlevées. Vous filmez les coulisses des défilés comme
s'il s'agissait d'une ruche, le champ de la caméra est en perpétuel devenir,
rien n'est jamais figé... Mais "Prêt-à-porter" ne serait rien
sans ce ton débridé que vous tenez pratiquement tout le long. Quand on
n'est pas sérieux, on peut tout se permettre. Votre film est suffisamment
fou pour se passer des règles d'or du cinéma. Vous avez réservé tout votre
mordant pour la fin : faire défiler des mannequins entièrement nus, est
bien LE véritable coup de griffe donné aux couturiers et non les deux
heures durant lesquelles vous les dépeignez comme des folles caractérielles.
En contre-pied des figures de carnaval que vous nous avez montrées, vous
plaidez pour un retour à la matière première: le corps, ses formes...
Les créateurs qui décorent mieux les portemanteaux qu'ils n'habillent
les êtres vivants, ne doivent pas en croire leur yeux !
Florence
Guernalec
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thé,
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et cinéma
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