thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 6
8 Mars 1995
Cher Robert Altman,


Sommaire
"Prêt-à-porter "
de Robert Altman


fiche technique et artistique



























Cher Robert Altman, "Prêt-à-porter" a tout du magazine féminin. Des décors luxueux, des filles de rêve, du clinquant, pas mal de publicité, des gens riches et célèbres... et la futilité en profession de foi. Ceux qui s'attendaient à tutoyer le monde de la mode en seront pour leurs frais. Vous n'êtes pas Raymond Depardon, "Prêt-à-porter" n'est pas un documentaire sur les grands couturiers. Votre film n'est jamais qu'une farce, vous dites vous-même que c'est une "histoire idiote". Et je dois avouer que j'y ai pris beaucoup de plaisir !

Avec la Haute-couture en toile de fond, vous aviez certainement plus matière à vous amuser, vous n'aviez plus qu'à grossir le trait... Néanmoins, le traitement est des plus troublant : vous mélangez vrais et faux couturiers, vrais et faux défilés... "Réel" et fiction se marient naturellement. Vous êtes machiavélique... Pour mieux accentuer votre charge, vous intégrez dans "Prêt-à-porter", une équipe fictive de reporters : ce film dans le film souligne encore un peu plus la vacuité des acteurs de la mode mais aussi le ridicule de ceux qui les filment, les journalistes ne sont pas épargnés. Tous vos personnages ou presque sont grotesques ou extravagants, on prend conscience assez vite qu'aucun d'eux ne prononcera une parole sensée en deux heures ! vos dialogues sont volontairement creux et absurdes. Quand Sergei arrive à approcher la femme qu'il aime après quarante ans de séparation, cela donne à peu près ceci :
- Rendez-vous au Musée Rodin devant la statue du Penseur, demain à 10 h.
- Je me lève à Midi.
- Alors à Midi.
- Non, à midi, j'ai mon aérobic...
C'est tellement surréaliste que les Nuls auraient pu l'inventer. Et quelle idée de faire apparaître cette statue du Penseur dans un film où la raison a définitivement abdiqué. Vous êtes l'auteur d'un nouveau genre, le "film de gueules" : de Yann Collette à Richard E. Grant, chaque caractère existe par lui-même, il n'est pas besoin de lui inventer un passé.

Malgré cela, la mise en place est un peu longue. Avec autant de personnages, c'est un peu normal, mais une fois que l'on sait qui est qui, on s'amuse comme des petits fous. Comme dans "Short Cuts", il n'y a pas de fil conducteur. Vous ébauchez une intrigue autour de la mort d'un personnage que vous dégonflez aussi vite, et vous préférez un essaim de stars en figurants à des personnages principaux en passeurs. Normalement, ce type de construction mène tout droit à la catastrophe, mais ici, vous compensez l'absence de structure narrative et la minceur de votre propos par des scènes courtes bien enlevées. Vous filmez les coulisses des défilés comme s'il s'agissait d'une ruche, le champ de la caméra est en perpétuel devenir, rien n'est jamais figé... Mais "Prêt-à-porter" ne serait rien sans ce ton débridé que vous tenez pratiquement tout le long. Quand on n'est pas sérieux, on peut tout se permettre. Votre film est suffisamment fou pour se passer des règles d'or du cinéma. Vous avez réservé tout votre mordant pour la fin : faire défiler des mannequins entièrement nus, est bien LE véritable coup de griffe donné aux couturiers et non les deux heures durant lesquelles vous les dépeignez comme des folles caractérielles. En contre-pied des figures de carnaval que vous nous avez montrées, vous plaidez pour un retour à la matière première: le corps, ses formes... Les créateurs qui décorent mieux les portemanteaux qu'ils n'habillent les êtres vivants, ne doivent pas en croire leur yeux !

 

Florence Guernalec

 

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