Je ne fréquente que les "dîners Bac+5". Moins prisé qu'une soirée hand-bag avec des drag-queens, les soirées des jeunes diplômés pleins d'avenir, comportent au moins un avantage : vous n'aurez pas de mauvaises surprises. Le jeune diplômé boit peu, ne connaît que les gros mots usuels et ne vous drague pas effrontement, il maîtrise sa libido. Les "bacs+5" sont des gens, en général, bien élévés, ils font usage de toute chose avec parcimonie, y compris de l'humour. Ils ont le goût de rentrer avant le dernier métro et de ne pas "prendre racine" chez vous. Le jeune diplômé n'est pas chômeur, alcoolique, drogué, séropositif et ne cache pas d'arme dans ses poches... Le "Bac+5" se libère du stress urbain par quelques coups de raquette, des longueurs de piscine, un week-end à la campagne et passe le reste de ses loisirs à se demander comment il va dépenser son argent. Le "Bac+5" sait planifier son emploi du temps.

Par souci d'honnêteté, je me dois de mettre un bémol à cet éloge du jeune cadre dynamique, le "Bac+5" a un défaut de taille : il a la "tête bien pleine et pas bien faite". A cause de son respect immodéré de la bienséance et des convenances sociales, le "bac+5" n'a ni opinion, ni goût personnels. Dans la majorité des cas, il vote à gauche parce qu'il sent confusément que ça fait bien, que c'est "dans le coup" : il aime croire qu'il défend ainsi les valeurs de liberté, d'égalité et de justice qu'on lui a enseignées tout au long de ses études... mais en fait, le "Bac+5" se dit volontiers apolitique. Il n'aime pas s'engager, prendre de risques et ne voudrait surtout pas se tromper. Le "Bac+5" a de vagues souvenirs de ses cours de philo de terminale, il sait que la meilleure des attitudes est de douter. Ainsi, le "Bac+5" se dit souvent agnostique. Pourquoi Pas. Seules, les raisons lui manquent, on n'ose lâcher le mot crucial : une réflexion. Pas de faits, ni d'arguments, le "Bac+5",à cause de ses années passées à apprendre ses cours par cœur, ne maîtrise pas le discours critique avec aisance.

Le "Bac+5" n'a pas non plus de goût, il compte sur son journal préféré pour lui dire ce qu'il doit voir, lire, écouter... Si vous lui conseillez amicalement tel ou tel artiste, spectacle, et s'il n'en n'a jamais entendu parler dans les médias, le "Bac+5" s'en méfiera. Le "Bac+5" n'est pas curieux. Il a trop peur de l'inconnu. Il ne voudrait surtout pas commettre une faute de gôut : il aime ce que tout le monde aime, le "Bac+5" est profondément un homme de consensus, c'est plus fort que lui. Au fond, le bac+5 est comme tout le monde, il aime bien être dirigé. Je ne remercie pas l'école républicaine et laïque d'avoir formé des bêtes à concours. A cause de l'éducation nationale, les dîners en ville, sont gentillets et le resteront à tout jamais. La production et la consommation de masse, c'est bien mais l'individu de masse, c'est terrifiant.

Florence Guernalec