thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 32
25 Octobre 1995
Cher Laurent,


Sommaire
Réflexions sur la couleur
au cinéma




























Je ne suis pas allée au festival "La couleur au cinéma" au Louvre. En dépit de ton invitation, j'ai préféré me défiler sans mot d'excuse. J'ai une philosophie et je m'y tiens : je préfère les films en noir et blanc ! Célébrer les films en couleurs, c'est comme préférer le Pepsi au Coca, une impardonnable faute de goût. Un film en noir et blanc, n'importe quel film en noir et blanc, me procurera toujours plus de plaisir que le meilleur film en couleur. La richesse du rendu justifie à elle seule de regarder des films en noir et blanc. Chaque chose trouve sa place dans un décor, acquiert une existence propre, une dimension qui dépasse son aspect utilitaire. On ne regarde plus les objets pour leur fonction mais pour leur forme, leur beauté. Il n'y a plus d'objets familiers mais des figures, totalement revues et corrigées par un œil malin. Le N&B idéalise notre quotidien.

Quant aux acteurs, chaque trait de leur visage devient un trait de caractère. Ils acquièrent naturellement une stature, le Noir et Blanc donne de la présence, de l'autorité à n'importe quel comédien. La couleur, c'est bon pour des publicités pour des lessives, pour le toc. la couleur ne s'imposera jamais sur un écran, elle bave, mélange, confond les éléments, leurs valeurs. Elle réduit, abaisse. Elle contribue, en apparence, à mieux rendre compte du réel mais comme l'image est moins importante que son impact, elle est inutile : un homme gisant sur le sol dans une marre de sang, est bien plus impressionnant filmé en N&B qu'en technicolor. Une image en couleur manquera toujours de distance, de recul. De classe. Le noir et blanc anoblit, la couleur souille... Est-ce à dire que la décadence du cinéma daterait de l'arrivée de la couleur, comme d'autres le pensaient du cinéma parlant ? Non, ce serait trop facile !

Il paraît que tu as un nouveau patron au CNC. Est-ce que tu crois que tu auras de nouveaux bureaux encore plus grands, encore mieux placés dans Paris et que tu pourras être libéré encore plus tôt l'après-midi ? Moi au boulot, c'est plutôt cool : j'ai un gros ordinateur pour moi toute seule, une ligne directe pour les appels des copines et un siège à roulettes qui pivote. Il y a même un réfrigérateur pour entreposer ma boisson préférée... C'est encore mieux qu'à la maison. Mais comme dans tout bon film, il faut un vilain petit canard pour qu'il se passe quelque chose, pour dévier le cours des histoires. Au journal, nous avons un spécimen encore jamais vu jusqu'alors : un nazillon avec des manières de "Précieuse ridicule". Odieux, méprisant, l'individu en question n'a rien de commun avec le genre humain, il se définirait plutôt comme une bête immonde, pire que "Predator" et "Alien" réunis. Tout le monde le déteste. Mais preuve que nous ne sommes pas dans un film, tout le monde fait semblant de ne rien remarquer, tout le monde reste très poli. Ah si Bruce Willis et Batman faisaient un petit tour au journal, cela ne se passerait pas comme ça. Finalement, je pense que je préfère le cinéma à la vie, les héros gagnent toujours et les méchants sont punis.

 

Florence Guernalec

 

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