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Dans
"En avoir (ou pas)", Lætitia Masson nous fait traverser le miroir,
nous emmène au-delà du jeu social. Ce n'est pas Alice la chômeuse qui
l'intéresse mais la jeune femme ordinaire d'une vingtaine d'années. De
la scène d'ouverture - les entretiens d'embauche - au licenciement de
l'héroïne, la réalisatrice passe du documentaire façon Depardon au cinéma.
Du réalisme le plus cru à la fiction, la cinéaste garde au passage les
qualités du reportage : spontanéité et proximité. Ce travail sur la simplicité
démontre, notamment à travers les dialogues, sa volonté de communiquer
de manière immédiate, sans filtre. Mais dans "En avoir (ou pas)",
l'humour donne le ton, apporte cette nécessaire distance qui différencie
un film réaliste lourdingue et gnan-gnan d'un bon film.
Alice se trouve entre deux lieux, deux travails, deux destins. Sandrine
Kiberlain est cette "girafe fatiguée" qui avance dans la vie, indépendante
et fière. Comme Ashley Judd dans "Ruby In Paradise" de Victor
Nunez, Alice vit à son rythme : elle évolue dans sa bulle, elle se met
volontairement hors jeu. Mais contrairement au film de Victor Nunez, "En
avoir (ou pas)" nous amuse aux dépends de l'héroïne. Maladroite et
naïve comme un personnage de Slapstick, Sandrine Kiberlain a cette candeur
inimitable : la comédienne est follement drôle dans la scène où elle boit
son cocktail, la tête penchée sur son verre, les yeux qui louchent sur
sa paille, essayant de lier conversation avec Bruno... Alice est disponible,
prête à s'enthousiasmer comme un enfant : dans la scène clé du film, elle
découvre le ballon rond, l'ambiance d'un stade de foot. Alice, devenue
spectatrice le temps d'un match, a cette même qualité de regard que la
cinéaste. Car la grande force de Lætitia Masson, c'est d'avoir osé filmer
des plaisirs simples mais surtout d'avoir réussi à nous en montrer le
prix comme lorsque Alice, Bruno et ses amis improvisent des pas de danse
sur la chanson de Michel Delpech "Pour un flirt". Dans "En avoir
(ou pas)", il n'y a pas de morceaux de bravoure, mais beaucoup d'audace
comme celle-là.
Lætitia Masson est même parvenue à nous faire croire que tout est improvisé
: tous ses acteurs (et même si le personnage de Bruno est moins bien écrit)
semblent s'être laissés aller au gré de leurs humeurs et de leurs envies.
Plus qu'un film réussi, "En avoir (ou pas)" est un film juste
: quel plus beau compliment peut-on faire à un auteur ?
Florence
Guernalec
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