thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 38
3 Janvier 1996
Un premier film juste de Lætitia Masson


Sommaire
"En avoir (ou pas)"
de Laetitia Masson


fiche technique et artistique



























Dans "En avoir (ou pas)", Lætitia Masson nous fait traverser le miroir, nous emmène au-delà du jeu social. Ce n'est pas Alice la chômeuse qui l'intéresse mais la jeune femme ordinaire d'une vingtaine d'années. De la scène d'ouverture - les entretiens d'embauche - au licenciement de l'héroïne, la réalisatrice passe du documentaire façon Depardon au cinéma. Du réalisme le plus cru à la fiction, la cinéaste garde au passage les qualités du reportage : spontanéité et proximité. Ce travail sur la simplicité démontre, notamment à travers les dialogues, sa volonté de communiquer de manière immédiate, sans filtre. Mais dans "En avoir (ou pas)", l'humour donne le ton, apporte cette nécessaire distance qui différencie un film réaliste lourdingue et gnan-gnan d'un bon film.

Alice se trouve entre deux lieux, deux travails, deux destins. Sandrine Kiberlain est cette "girafe fatiguée" qui avance dans la vie, indépendante et fière. Comme Ashley Judd dans "Ruby In Paradise" de Victor Nunez, Alice vit à son rythme : elle évolue dans sa bulle, elle se met volontairement hors jeu. Mais contrairement au film de Victor Nunez, "En avoir (ou pas)" nous amuse aux dépends de l'héroïne. Maladroite et naïve comme un personnage de Slapstick, Sandrine Kiberlain a cette candeur inimitable : la comédienne est follement drôle dans la scène où elle boit son cocktail, la tête penchée sur son verre, les yeux qui louchent sur sa paille, essayant de lier conversation avec Bruno... Alice est disponible, prête à s'enthousiasmer comme un enfant : dans la scène clé du film, elle découvre le ballon rond, l'ambiance d'un stade de foot. Alice, devenue spectatrice le temps d'un match, a cette même qualité de regard que la cinéaste. Car la grande force de Lætitia Masson, c'est d'avoir osé filmer des plaisirs simples mais surtout d'avoir réussi à nous en montrer le prix comme lorsque Alice, Bruno et ses amis improvisent des pas de danse sur la chanson de Michel Delpech "Pour un flirt". Dans "En avoir (ou pas)", il n'y a pas de morceaux de bravoure, mais beaucoup d'audace comme celle-là.

Lætitia Masson est même parvenue à nous faire croire que tout est improvisé : tous ses acteurs (et même si le personnage de Bruno est moins bien écrit) semblent s'être laissés aller au gré de leurs humeurs et de leurs envies. Plus qu'un film réussi, "En avoir (ou pas)" est un film juste : quel plus beau compliment peut-on faire à un auteur ?

 

Florence Guernalec

 

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