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Vous
me téléphonez souvent en catastrophe pour savoir ce qu'il y a à voir au
cinéma. Les programmes dans une main, le combiné dans l'autre, vous me
lisez la liste des films à l'affiche, persuadés que je vais trouver votre
bonheur. Vous êtes vraiment naïfs parfois ! Je suis toujours aussi embarrassée
pour vous conseiller, les très bons films tombent moins souvent que votre
note de téléphone... En plus, si je ne vous recommande rien, c'est tout
juste si ce n'est pas de ma faute. Et puis il faut dire que vos goûts
me surprennent parfois : Papa, tu ne jures officiellement que par Mocky,
Rohmer et Delon (dont tu ne vas plus voir les films depuis bien longtemps)
et tu as aimé "Sur la route de Madison". Maman, tu as une faiblesse pour
les films de Sautet, le cinéma français bavard qui parle d'amour. Je me
souviendrais toujours de la fois où tu m'as annoncée avec des étincelles
dans la voix que tu avais beaucoup aimé "Speed" !!!
Voici donc les dernières nouvelles des salles obscures. Hier soir, j'ai
vu "Land and Freedom" un film sérieux qu'il est de bon ton d'avoir vu.
Ken Loach sort de la grisaille de l'Angleterre et s'attaque à la guerre
d'Espagne : il filme des miliciens du POUM, des hommes et des femmes du
peuple, qui se battent pour la Liberté et l'Égalité. "Land and Freedom"
est le type même de film plein de bons sentiments. Les jeunes combattants
sont beaux et courageux. Ils chantent "L'Internationale" avec
conviction. Le film est émouvant certes : leur désespoir devant la défaite
nous touche et comme il se doit l'héroïne meurt à la fin du film, pas
au début... Rien ne manque, même pas les symboles : la terre d'Espagne
dans le foulard rouge de l'ancien milicien anglais est gardée dans une
vieille valise. Souvenirs, souvenirs... Quand on voit ce genre de niaiseries
dans un film américain, tous les pseudo-intellectuels hurlent avec raison,
ici on se doit d'applaudir sous peine de passer pour un traître.
Ken Loach opère un va-et-vient entre la Grande-Bretagne d'aujourd'hui
et l'Espagne des années 30, histoire de nous dire que la dictature du
prolétariat est toujours d'actualité. Ces procédé narratif facile est
assez risible. Trop de bonnes intentions, pas assez de regard critique.
Le cinéaste est paralysé par le poids de l'Histoire et par son idéologie
toute écornée. Résultat, "Land and Freedom" danse toujours sur le même
pied, celui du film militant. Ken Loach n'ose pas faire d'humour comme
dans ses films précédents, il n'ose pas prendre ses distances. Les dialogues
finissent par être ridicules : lorsque le chef de camp accueille les nouveaux
combattants, il leur explique qui ils sont et pourquoi ils sont là au
cas où eux-mêmes et les spectateurs n'auraient pas bien compris... A un
seul moment, Ken Loach sort de son récit didactique, politiquement correct.
Toute la séquence sur la collectivisation des terres est jouissive : l'opposition
entre ceux qui n'ont rien et celui qui possède quelques hectares et veut
les garder, nous amuse et nous fait réfléchir à la notion "d'intérêt commun".
Nous nous interrogeons sur la stratégie à adopter vis à vis des gouvernements
étrangers, nous nous surprenons à faire de la géopolitique...
Sachez enfin que mon frère a adoré "Land and Freedom". Je crois qu'avec
l'âge il devient sentimental. Il aime de plus en plus les films tièdes
et il est prêt à adhérer à n'importe quoi. Je suis de plus en plus inquiète.
L'autre jour je l'ai même trouvé devant un épisode de "Julie Lescaut".
Passez lui un coup de fil et essayez de savoir ce qui se passe. Bonnes
toiles....................
Florence
Guernalec
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thé,
crackers
et cinéma
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