thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 34
8 Novembre 1995
Chère Maman, cher Papa,


Sommaire
"Land and Freedom"
de Ken Loach


fiche technique et artistique



























Vous me téléphonez souvent en catastrophe pour savoir ce qu'il y a à voir au cinéma. Les programmes dans une main, le combiné dans l'autre, vous me lisez la liste des films à l'affiche, persuadés que je vais trouver votre bonheur. Vous êtes vraiment naïfs parfois ! Je suis toujours aussi embarrassée pour vous conseiller, les très bons films tombent moins souvent que votre note de téléphone... En plus, si je ne vous recommande rien, c'est tout juste si ce n'est pas de ma faute. Et puis il faut dire que vos goûts me surprennent parfois : Papa, tu ne jures officiellement que par Mocky, Rohmer et Delon (dont tu ne vas plus voir les films depuis bien longtemps) et tu as aimé "Sur la route de Madison". Maman, tu as une faiblesse pour les films de Sautet, le cinéma français bavard qui parle d'amour. Je me souviendrais toujours de la fois où tu m'as annoncée avec des étincelles dans la voix que tu avais beaucoup aimé "Speed" !!!

Voici donc les dernières nouvelles des salles obscures. Hier soir, j'ai vu "Land and Freedom" un film sérieux qu'il est de bon ton d'avoir vu. Ken Loach sort de la grisaille de l'Angleterre et s'attaque à la guerre d'Espagne : il filme des miliciens du POUM, des hommes et des femmes du peuple, qui se battent pour la Liberté et l'Égalité. "Land and Freedom" est le type même de film plein de bons sentiments. Les jeunes combattants sont beaux et courageux. Ils chantent "L'Internationale" avec conviction. Le film est émouvant certes : leur désespoir devant la défaite nous touche et comme il se doit l'héroïne meurt à la fin du film, pas au début... Rien ne manque, même pas les symboles : la terre d'Espagne dans le foulard rouge de l'ancien milicien anglais est gardée dans une vieille valise. Souvenirs, souvenirs... Quand on voit ce genre de niaiseries dans un film américain, tous les pseudo-intellectuels hurlent avec raison, ici on se doit d'applaudir sous peine de passer pour un traître.

Ken Loach opère un va-et-vient entre la Grande-Bretagne d'aujourd'hui et l'Espagne des années 30, histoire de nous dire que la dictature du prolétariat est toujours d'actualité. Ces procédé narratif facile est assez risible. Trop de bonnes intentions, pas assez de regard critique. Le cinéaste est paralysé par le poids de l'Histoire et par son idéologie toute écornée. Résultat, "Land and Freedom" danse toujours sur le même pied, celui du film militant. Ken Loach n'ose pas faire d'humour comme dans ses films précédents, il n'ose pas prendre ses distances. Les dialogues finissent par être ridicules : lorsque le chef de camp accueille les nouveaux combattants, il leur explique qui ils sont et pourquoi ils sont là au cas où eux-mêmes et les spectateurs n'auraient pas bien compris... A un seul moment, Ken Loach sort de son récit didactique, politiquement correct. Toute la séquence sur la collectivisation des terres est jouissive : l'opposition entre ceux qui n'ont rien et celui qui possède quelques hectares et veut les garder, nous amuse et nous fait réfléchir à la notion "d'intérêt commun". Nous nous interrogeons sur la stratégie à adopter vis à vis des gouvernements étrangers, nous nous surprenons à faire de la géopolitique...

Sachez enfin que mon frère a adoré "Land and Freedom". Je crois qu'avec l'âge il devient sentimental. Il aime de plus en plus les films tièdes et il est prêt à adhérer à n'importe quoi. Je suis de plus en plus inquiète. L'autre jour je l'ai même trouvé devant un épisode de "Julie Lescaut". Passez lui un coup de fil et essayez de savoir ce qui se passe. Bonnes toiles....................

 

Florence Guernalec

 

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