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Lettre ouverte
à Marc Esposito
directeur de Studio Magazine
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Nous
nous sommes croisés il y a quelques années à Studio... Pour un journaliste,
vous n'êtes pas très bavard. Vous avez toujours l'air d'être dans la lune
et de bonne humeur. C'est à cette époque que j'ai réalisé qu'il existe
réellement des gens qui sont payés pour voir des films ! Je n'en reviens
toujours pas. Vous vous levez tard, fréquentez les vedettes et prenez
souvent l'avion. C'est pas un peu décadent comme métier "critique" ? Enfin
aujourd'hui, vous êtes "chroniqueur"...
Votre habit de candide vous sied à merveille, personne ne pourrait jouer
ce rôle mieux que vous. Vous croyez au cinéma comme on croit au Père Noël,
c'est plutôt réjouissant. Vous pensez même fermement que le cinéma est
plus beau que la vie. Et c'est vrai que pour certains films, on aimerait
bien traverser l'écran. Mais contrairement à vous, je me réjouis tous
les jours que les réalisateurs soient rarement touchés par la grâce et
que beaucoup ne tournent qu'une nouvelle version des Misérables. Comme
ça, je peux rentrer chez moi rassurée : la vie - MA vie - est bien plus
chouette que celle des personnages des films. Je m'en réjouis d'autant
plus que dans ce domaine le cinéma français est le premier au monde après
les russes, les suédois, les finlandais et les chinois. Les américains
peuvent aller se rhabiller !
Vous voyez il y a encore quelques années, je ne comprenais pas pourquoi
les yankees faisaient des remakes de nos films mais quand j'ai vu "La
Totale !" après l'excellent "True Lies", mon patriotisme
en a pris un coup. Le film de Claude Zidi n'atteint pas le minimum de
crédibilité requis, les situations manquent totalement de relief, son
agent secret a l'air aussi futé qu'un berger allemand, tout est "rikiki"
et si familier. Une catastrophe. Même Télérama préfère le remake, c'est
dire... "True Lies" commence là où "La totale !" s'arrête
: les effets sont démultipliés, James Cameron fait exploser le scénario.
En fait, vous expliquez très bien dans une de vos chroniques que la différence
entre les deux cinématographies n'est pas une question de moyens mais
une affaire d'esprit : "En Amérique, on "croit" encore très fort au cinéma.
"Big" en est la nouvelle preuve éclatante (...) Ça aurait pu
techniquement, financièrement, être fait en France. Mais pour penser à
"Big", pour faire Big (l'histoire d'un garçon de 12 ans qui
vit dans un corps d'adulte), il faut croire encore dans la force du cinéma
à un point dont seuls les américains sont capables." Inversement, donnez
à n'importe quel réalisateur français, le scénario et le budget pour tourner
"L'Arme fatale", notre metteur en scène réaliserait un drame
intimiste sur un policier déprimé par son divorce et confronté à la dure
réalité de la vie des banlieues rongées par le chômage, le sida, la drogue
et le racisme où on risque sa vie à chaque instant pour défendre les exclus,
les sans-grades contre les gens de pouvoir. Le film serait tourné à la
Pialat façon "Police", caméra à l'épaule et dialogues inaudibles
pour faire plus vrai ! La supériorité des américains, c'est d'avoir fait
de l'"entertainment" un mode de vie. Aux Etats-Unis, tout est du cinéma,
tout est à son "échelle", celle de la démesure. A propos du remake du
film "Les fugitifs" (réalisé par Francis Veber lui-même), vous
dites d'ailleurs très bien que "... les décors, les voitures, les flics
américains sont beaucoup plus cinégéniques que les français... " Si le
mot "entertainment" peut se traduire dans toutes les langues, il reste
plus que jamais attaché aux Etats-Unis. Cela dit, vous ne dites pas vraiment
ce qu'on peut faire : devons nous nous résigner à ce que le cinéma appartienne
aux américains, comme nous possédons les meilleurs vignobles ? Ou suffirait-il
que les français se prennent moins au sérieux ?
Vous avez raison de vous élever contre les films à thèse prétentieux et
interminables. Vous avez mille fois raison de juger les films à l'aune
du plaisir que vous avez éprouvé et non d'un quelconque discours critique.
Vous dites - simplement - des vérités, on a parfois l'impression que vous
"enfoncez des portes ouvertes", en réalité vous êtes quasiment le seul
à prendre en compte la dimension communication dans le processus créatif
d'un film : "Pour captiver, émouvoir ou faire rire des spectateurs (...),
il y a une infinité de règles à respecter, de mélanges à éviter, de procédures
impossibles à contourner." C'est peut-être grâce à vous et quelques idéalistes
dans votre genre que ces idées sont en train de faire leur chemin. Bien
sûr, aux Cahiers et à Positif, vous devez encore passer pour un farfelu
infréquentable, mais aujourd'hui, les professionnels de la profession
sont en train de vous donner raison : ils commencent à admettre qu'un
film n'est vraiment réussi que s'il a séduit le plus grand nombre... et
pour la majorité des spectateurs qui vous lisent, je suis sûre que vous
êtes un héros. Néanmoins, quand vous défendez à longueur de chroniques
"Pretty Woman" ou que vous vous enthousiasmez pour "Jurassic
Park", "Germinal" ou "Forrest Gump", je regrette
qu'il n'y ait plus de jeux du cirque pour vous jeter dans la fosse aux
lions... et ceux dont je rêve dans ces moments-là ne seraient pas sous
contrat à la MGM ! Comment se peut-il que nous ayons la même conception
du cinéma mais rarement les mêmes goûts ?
Par exemple, pour moi, le film de Garry Marshall n'est qu'une guimauve,
une version à peine remodelée de Cendrillon. Tout est propret, Richard
Gere a un beau smoking et Julia Roberts une belle robe rouge, ils sont
jeunes, un peu fadasses et ont un beau sourire. Est-ce que cela fait un
film pour autant ? Pour moi, cette histoire d'amour, ce conte de fée à
l'eau de rose relève du cauchemar. Si vous avez raison de dire que les
américains sont les seuls à avoir gardé "toute la naïveté, toute la fraîcheur
d'enfants émerveillés", vous oubliez que cette qualité donne souvent à
l'écran des films niaiseux. De "Pretty Woman", je ne sauverais
que la brillantissime chanson de Roy Orbison. Et ce n'est pas parce que
vous nous avez confié dans une de vos chroniques que vous aviez un cœur
d'artichaut que je vous excuse : tous les prétextes sont bons pour parler
de l'héroïne de "Pretty Woman". Bon, c'est vrai il y a plus
moche que Julia Roberts mais quand même... Je suis sidérée. Est-ce que
vous pensez que j'ai assez de talent pour parler de la même manière de
Buster Keaton sans que les lecteurs trouvent ça anormal ? Je sais que
vous vous apprêtez à réaliser votre premier long-métrage, j'espère que
vous n'allez pas vous empresser d'oublier tout ce que vous avez appris
sur le cinéma, je ne saurais trop vous conseiller, pour un début, la relecture
de vos chroniques !
Florence
Guernalec
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thé,
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et cinéma
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