thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 28
27 Setembre 1995
 


Sommaire
Lettre d'amour
aux acteurs






























Semaine calme. Pas de films et pas de regrets. Etre cinéphile et ne pas aller au cinéma, ce n'est pas une faute professionnelle mais une attitude. Du dandysme. Il y a quelques années, tous les "grands cinéastes" clamaient haut et fort d'un air supérieur : "je ne vais pas voir le travail des autres."... Rappelez-vous, c'est à ce moment qu'on sursautait et qu'on se disait : "Ils devraient". En réalité, je suis sûre qu'ils vont tous au cinéma et qu'ils dévorent l'écran, le visage déformé par la jalousie. J'ai bien vu Philippe Garrel à la première séance de "Jurassic Park" sur les Champs-Elysées ! Je vous jure que c'est vrai, le problème, c'est que j'ai été la seule à le reconnaître.... Désormais quand on me demandera ce que j'ai fait cette semaine, je répondrais sur un ton pédant : "Je ne suis pas allée au cinéma", ce qui en langage clair signifiera, "Je ne vais plus au cinéma", la variante étant : "Je n'ai pas regardé la télé". De même qu'il y a quelques temps, on disait avec fierté "Je suis un homme de gauche" ou "Je n'ai pas mon permis", je prédis que bientôt on se targuera de ne pas être allé voir le dernier Jean-Marie Poiré et d'adorer le cinéma ouzbek. Pourquoi me direz-vous ? Parce que ça fait chic.


Depuis que "thé, crackers et cinéma" existe, je n'ai jamais parlé des acteurs, est-ce parce que c'est "vulgaire" ? Sans doute mais vous savez maintenant que je ne crains pas de passer pour une imbécile, une ringarde, voire une midinette. Je n'ai pas honte de dire que j'ai un faible pour les acteurs. J'aime les comédiens qui sont des personnages dans la vie, qui peuvent jouer sans chef-d'orchestre, celles et ceux qui font naître les images et les envies et qui m'inspirent le respect. Ces comédiens existent bel et bien, il manque seulement des rôles pour les aimer, il ne manque que des "films d'acteurs". Alors à quoi bon parler des comédiens ? Les jugements hâtifs relégués en fin de papiers du genre "Les acteurs sont tous formidables", ne trompent personne, ils ne cachent pas la misère des comédiens français. Pourquoi personne n'ose dire qu'aujourd'hui en France, on ne fait plus carrière dans le cinéma ? Sans doute parce que ce serait vulgaire. La vérité est outrageusement vulgaire. J'insiste : quels sont les acteurs et les actrices qui travaillent dans ce métier ? On aurait assez des doigts d'une seule main pour les compter...

Aujourd'hui, il naît presque autant d'acteurs qu'il y a de rôles... Mais il n'y a pas besoin de tours de magie pour les faire disparaître. Les cinéastes français ont réussi un exploit extraordinaire : se passer des acteurs. Il reste bien des marionnettes enfermées dans le petit théâtre de la vie, déclamant des litanies à la virgule près ! Les cinéastes tirent plus ou moins bien les ficelles mais en gros, les comédiens finissent tous par prendre la pose. Ils font peine à voir... Sans âme qui vive, notre cinéma est un cadavre, et ceux qui affirment qu'il bouge encore, sont des menteurs. Lorsque les seuls comédiens qui restent en haut de l'affiche n'ont pas de personnalité, de charisme, comment notre cinéma peut-il être excitant ? J'aimerais donc beaucoup vous parler des acteurs que j'aime, l'ennui c'est qu'ils ne tournent pas ou si peu, ils ont des petits rôles banals dans des films prétentieux, de grands rôles dans de mauvais films et de grands vides entre deux apparitions. Est-ce que tirer sur une ambulance est vulgaire ?

 

Florence Guernalec

 

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