thé, crackers et cinéma
a r c h i v e s
 



Numéro 26
13 Septembre 1995
Cher Claude Chabrol,


Sommaire
"La Cérémonie"
de Claude Chabrol


fiche technique et artistique



























Votre dernier film "La Cérémonie" est passionnant. Je ne sais pas ce que vaut le roman de Ruth Rendell, je ne l'ai pas lu. Au vu de votre adaptation, je ne pense pas prendre trop de risques en affirmant que le livre n'est point médiocre. Si ce film est si réussi, cela tient d'abord à un scénario vicieux : vous faites se rencontrer des corps étrangers et vous filmez la réaction chimique qui se produit. Votre expérience est même diabolique si l'on songe à l'humour et à la légèreté qui donnent le ton. Pour un peu on prendrait "La Cérémonie" pour une comédie de mœurs... Tous vos personnages sont aimables, ni franchement sympathiques, ni détestables : vos "bourgeois" ne sont pas des monstres et vos filles du peuple ne sont pas des enfants de chœur. Vous ne jouez pas un camp contre l'autre.

Ces vies apparemment "sans histoires" alimentent l'imagination du spectateur. Tout fonctionne trop bien. On devine très vite que quelque chose va dérailler même si jusqu'au bout, vous évitez soigneusement toute scène spectaculaire : seuls les petits riens de l'existence vous intéressent. Cet inventaire des faits et gestes de notre vie quotidienne, aurait pu être plat, ennuyeux mais dans "La Cérémonie", chaque mouvement, chaque parole deviennent digne d'intérêt car chaque action est porteuse de SENS : faire les courses quand on ne sait pas lire, se faire aider à redemarrer sa voiture par celle qui vous déteste, manger seule à la cuisine pendant que ses patrons dînent au salon, fermer les rideaux et allumer la télé pour se faire oublier...

Avec ce film, vous avez joué les commissaire Maigret ! Vous n'aviez, semble-t-il, qu'une idée en tête : filmer les faits et rien que les faits. Vous avez tourné "La Cérémonie" comme un film policier pour éviter d'enfiler les scènes "psychologiques". Chaque séquence fait donc mine de servir à une enquête où vous dévoilez en réalité la vraie nature de Sophie, le personnage central du film, où vous enrichissez l'actif et le passif de chaque protagoniste. Vous avez fait preuve de la même rigueur que si vous vouliez nous révéler par petites touches, une énigme. Si énigme il y a, il faut en chercher les clés dans les personnages. Car au fond, vous vouliez uniquement que le spectateur FASSE LA CONNAISSANCE de vos protagonistes. Pari réussi, on a envie de savoir ce qu'ils ont dans le ventre.

Malheureusement vous tenez absolument à rabaisser votre film à un essai sur la lutte des classes, sur l'esclavagisme. Comme vous faites très bien l'imbécile, on finirait par croire que la société française est bien telle que vous la décrivez dans vos interviews : coupée en deux. L'embêtant, c'est que le rapport de dominant à dominé que vous montrez n'est pas le fait de la société mais de la nature humaine. Sophie est moins prisonnière des Lelièvre, ses employeurs que de sa copine Jeanne : à son contact, elle est une femme sous influence. Les Lelièvre ne lui disent pas comment penser ou agir, alors que Jeanne l'incite sournoisement à espionner, à se révolter... Dieu vous garde de toutes ces sottises pour journalistes fainéants en mal d'inspiration. Comme on vous aime bien, on vous pardonne vos deux ou trois écarts de langage...

 

Florence Guernalec

 

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