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Votre
dernier film "La Cérémonie" est passionnant. Je ne sais pas
ce que vaut le roman de Ruth Rendell, je ne l'ai pas lu. Au vu de votre
adaptation, je ne pense pas prendre trop de risques en affirmant que le
livre n'est point médiocre. Si ce film est si réussi, cela tient d'abord
à un scénario vicieux : vous faites se rencontrer des corps étrangers
et vous filmez la réaction chimique qui se produit. Votre expérience est
même diabolique si l'on songe à l'humour et à la légèreté qui donnent
le ton. Pour un peu on prendrait "La Cérémonie" pour une comédie
de mœurs... Tous vos personnages sont aimables, ni franchement sympathiques,
ni détestables : vos "bourgeois" ne sont pas des monstres et vos filles
du peuple ne sont pas des enfants de chœur. Vous ne jouez pas un camp
contre l'autre.
Ces vies apparemment "sans histoires" alimentent l'imagination du spectateur.
Tout fonctionne trop bien. On devine très vite que quelque chose va dérailler
même si jusqu'au bout, vous évitez soigneusement toute scène spectaculaire
: seuls les petits riens de l'existence vous intéressent. Cet inventaire
des faits et gestes de notre vie quotidienne, aurait pu être plat, ennuyeux
mais dans "La Cérémonie", chaque mouvement, chaque parole deviennent
digne d'intérêt car chaque action est porteuse de SENS : faire les courses
quand on ne sait pas lire, se faire aider à redemarrer sa voiture par
celle qui vous déteste, manger seule à la cuisine pendant que ses patrons
dînent au salon, fermer les rideaux et allumer la télé pour se faire oublier...
Avec ce film, vous avez joué les commissaire Maigret ! Vous n'aviez, semble-t-il,
qu'une idée en tête : filmer les faits et rien que les faits. Vous avez
tourné "La Cérémonie" comme un film policier pour éviter d'enfiler
les scènes "psychologiques". Chaque séquence fait donc mine de servir
à une enquête où vous dévoilez en réalité la vraie nature de Sophie, le
personnage central du film, où vous enrichissez l'actif et le passif de
chaque protagoniste. Vous avez fait preuve de la même rigueur que si vous
vouliez nous révéler par petites touches, une énigme. Si énigme il y a,
il faut en chercher les clés dans les personnages. Car au fond, vous vouliez
uniquement que le spectateur FASSE LA CONNAISSANCE de vos protagonistes.
Pari réussi, on a envie de savoir ce qu'ils ont dans le ventre.
Malheureusement vous tenez absolument à rabaisser votre film à un essai
sur la lutte des classes, sur l'esclavagisme. Comme vous faites très bien
l'imbécile, on finirait par croire que la société française est bien telle
que vous la décrivez dans vos interviews : coupée en deux. L'embêtant,
c'est que le rapport de dominant à dominé que vous montrez n'est pas le
fait de la société mais de la nature humaine. Sophie est moins prisonnière
des Lelièvre, ses employeurs que de sa copine Jeanne : à son contact,
elle est une femme sous influence. Les Lelièvre ne lui disent pas comment
penser ou agir, alors que Jeanne l'incite sournoisement à espionner, à
se révolter... Dieu vous garde de toutes ces sottises pour journalistes
fainéants en mal d'inspiration. Comme on vous aime bien, on vous pardonne
vos deux ou trois écarts de langage...
Florence
Guernalec
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thé,
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et cinéma
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