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A en
croire la critique, vous êtes le cinéaste le plus doué de votre génération.
Si c'est écrit dans tous les journaux, ce doit être vrai... Comment se
fait-il alors que votre dernier film "Ed Wood" comme les autres
me laisse indifférente ? Je pense que mes réticences ne tiennent pas à
votre mise en scène mais à votre univers : contrairement à mes confrères,
je ne trouve pas vos "héros" attachants. J'aime que vous vous intéressiez
à des iconoclastes, j'aime qu'ils défient - malgré eux - la bienséance
sociale, mais si vos personnages ont bien une âme, il leur manque l'intelligence.
N'importe quel scénariste vous dira qu'il est suicidaire de construire
tout un film sur un héros qui persiste dans l'erreur. Ed Wood n'apprend
pas, n'évolue pas, il répète toujours les mêmes fautes, et en cela, il
condamne votre film à faire du surplace. Ce qui compte pour vous, ce n'est
pas le résultat mais la démarche. Avec Ed Wood, ce n'est pas l'œuvre qui
vous intéresse mais le style unique. Vous avez d'ailleurs épousé l'esprit
de ses séries Z, allant jusqu'à confondre les scènes reconstituées de
ses films et l'homme, son cinéma et sa vie ne faisant qu'un. Ed Wood,
c'est vous, Jack c'est vous,... Vos héros ne cherchent jamais à imposer
leur différence aux autres comme vous ne cherchez jamais à imposer votre
griffe. Résultat, tous vos films sont habités par l'échec, vous vous complaisez
dans votre marginalité. Vous avez un faible pour ceux qui ont une âme
d'enfant, ceux qui ont gardé leur innocence et leur enthousiasme intacts,
ceux qui ont le feu sacré et ne mettent pas de barrières à leur rêves,
il n'y a rien de mal à cela mais un imbécile heureux fait-il un bon personnage
de cinéma ? Permettez-moi d'en douter*. Vous savez bien que les héros
naissent toujours intelligents...
Vous connaissez sans doute Gus Van Sant : selon mes confrères, il fait
partie des cinéastes les plus doués de sa génération... J'avais détesté
"My Own Private Idaho", un film qui parlait soi-disant de sujets
tabous comme l'homosexualité et la prostitution et qui en réalité ne disait
rien, passait son temps à éviter l'essentiel. Un film fourbe, impuissant,
à peine moins édulcoré que "Philadelphia" ! "Even Cowgirls
get the Blues" est adapté du livre culte de Tom Robbins. Un film
féministe écrit et réalisé par un homme ? On n'arrête pas le progrès
! Ce long métrage ressemble à un pari lancé par deux poivrots : stupide
et sans intérêt. "Even Cowgirls...", se veut fou, fou, fou,
il est plutôt risible : le retour à la nature tel qu'il était prôné dans
les années 70 paraît aujourd'hui ridicule. Gus Van Sant filme une bande
de chipies, des Jane Fonda revêches qui affirment avec un sérieux désarmant
que les femmes sont meilleures que les hommes. Comme d'habitude, Gus Van
Sant s'en tient aux mots, aux bonnes intentions. On comprend dès lors
son intérêt pour la langue psychédélique de Tom Robbins, l'attraction
gag de ce film. Uma Thurman en candide, pourrait presque faire partie
de votre univers : avec ses deux énormes pouces, elle défie la norme.
Mais la comparaison s'arrête là : Sissy - contrairement à vos héros- utilise
son handicap comme un atout, elle devient la reine de l'auto-stop, non
pas pour voyager mais pour "bouger" comme elle le dit. Son personnage
serait donc plus intéressant que les vôtres si elle ne restait passive.
En fait, on se désintéresse très vite de ses aventures, car si elle se
déplace vite, elle évolue très lentement ! Comme dans vos films, le train
reste à quai, faute de destination.
Florence
Guernalec
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et cinéma
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