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c r i t i q u e s |
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"Pleasantville" |
Imaginatif et subversif.
La mise en place de l'histoire est remarquable car Gary Ross présente en très peu de scènes, et avec humour, deux époques totalement différentes, l'une parfaite, l'autre horrible. L'effet comique repose sur l'exagération et l'accumulation des faits : le générique est composé d'un zapping éffréné et abrutissant de la télévision d'aujourd'hui, et donne l'image d'un monde au bord de l'apocalypse. David zappe sur TV Times, la chaîne consacrée aux séries en noir et blanc : dans "Pleasantville", une famille modèle, heureuse et souriante, vit dans un monde sans nuages. Quarante ans plus tard, il y a de quoi déprimer. Au lycée, David est bombardé de catastrophes : chômage, destruction de l'environnement, Sida. Et pour couronner le tout, l'adolescent est un enfant du divorce. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'il passe ses journées devant sa série préférée. Trois films en un, c'est le pari audacieux de Gary Ross. Le cinéaste modifie en cours de route, la couleur et la portée de son histoire. "Pleasantville" commence comme une comédie récréative, le réalisateur s'amuse à décrire un monde aseptisé qui s'apparente à une image totalement idéalisée de l'Amérique des années 50. A Pleasantville, il n'y a pas de place pour l'imprévu, ni pour les grands et petits drames de l'existence. Il n'arrive jamais rien de déplaisant. Pour Mary-Sue, c'est "Dingoville". Puis Gary Ross s'oriente vers un film poétique. La couleur apparaît lorsqu'un individu ressent une émotion. D'abord sur une rose, puis sur un visage et un autre... Petit à petit, le monde en noir et blanc de Pleasantville se transforme sous l'action de Mary-Sue qui fait découvrir le sexe aux adolescents et à sa mère. David se charge de remplir les livres vierges de la bibliothèque, les gens s'évadent désormais de Pleasantville par la lecture... Une révolution type "Flower Power" est dans l'air. Gary Ross finit son film sur une fable politique. Une partie des habitants de la ville rejette ces nouveaux modes de vie : ils chassent "l'homme de couleur", saccagent des commerces, brûlent les livres. Et bientôt, la ville interdira officiellement la couleur et d'autres symboles de la liberté... Les correspondances sont claires : derrière cette Amérique parfaite, Gary Ross évoque la ségrégation raciale envers les noirs - les gens de couleur et le McCarthysme. Pour le cinéaste, la vie est belle et exaltante parce qu'elle réserve des surprises, parce que le monde change. Sans émotions, sans moments de joie ou de tristesse, notre existence serait d'un insondable ennui... Gary Ross se montre moins convaincant et brillant dans sa démonstration que lors de la mise en place de l'histoire car il ne peut plus s'appuyer sur l'opposition des époques pour dynamiter son film. Le cinéaste finit par épouser la nonchalance de cette ville de carton pâte. Pleasantville demeure néanmoins une oeuvre passionnante, culottée, et rare car Gary Ross utilise parfaitement toute la (fausse) naïveté de son sujet et de son décor pour livrer une critique calme mais sévère de l'Amérique, il n'a pas besoin de lever le poing et de provoquer des polémiques pour remettre en cause le mythe d'un pays tolérant et libéral.
Florence Guernalec
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